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Nicolas Ellis: «C’est stimulant de faire du nouveau»

Le directeur artistique et fondateur de l’orchestre de l’Agora, Nicolas Ellis. Photo: Josie Desmarais/Métro
Marie-Lise Rousseau - Métro

Avec Boum Dang Sangsue!, un concert éclaté et imprévisible qu’il donnera jeudi avec Philippe Brach, Fabien Cloutier et Erika Soucy, le fondateur et directeur artistique de l’Orchestre de l’Agora, Nicolas Ellis, poursuit la mission qu’il s’est donnée dès le tout début de sa jeune et prolifique carrière : décloisonner la musique classique.

En cherchant le nom de Nicolas Ellis dans Google, on trouve parmi les premiers résultats les titres d’articles suivants : «Un jeune chef qui n’a pas fini d’éblouir» et «Début de carrière exemplaire pour Nicolas Ellis».

Il est vrai que sa feuille de route impressionne. Après avoir dirigé un orchestre symphonique formé d’étudiants en grève au printemps 2012, il a fondé l’Orchestre de l’Agora à l’âge de 20 ans, puis a été chef d’orchestre en résidence de l’Orchestre symphonique de Québec. Cette année, il a été nommé collaborateur de Yannick Nézet-Séguin à l’Orchestre Métropolitain.

Entre-temps, en 2017, Nicolas Ellis a dirigé les arrangements de l’album Le silence des troupeaux, de Philippe Brach. «J’ai vraiment tripé sur la personne, sur l’artiste et son univers super éclaté. C’est quelqu’un de très curieux, qui a le goût d’essayer des affaires», dit-il à son sujet.

Fier de cette collaboration, il a eu envie de travailler de nouveau avec l’auteur-compositeur­-interprète réputé pour ne jamais être là où on l’attend.

Ils se retrouveront sur la scène de la Maison symphonique dans le cadre de Boum Dang Sangsue!, un spectacle qui promet d’en faire voir de toutes les couleurs.

En plus d’interpréter l’intégrale de l’album Le silence des troupeaux, vous jouerez Les animaux modèles de Francis Poulenc, le premier tableau de Pétrouchka de Stravinsky et Le cygne de Saint-Saëns. Comment marier ces morceaux de classique à l’œuvre de Philippe Brach?
Ceux qui connaissent Philippe savent que, de show en show, il collectionne les figurines d’animaux. Son dernier album se nomme Le silence des troupeaux. Sur la pochette, il est représenté avec le visage d’une espèce d’homme-bouc-chèvre-je-ne-sais-pas-trop… J’ai donc essayé de trouver des œuvres qui ont ce lien avec sa musique.

On ne peut pas demander à quoi s’attendre de ce concert parce que son objectif est de surprendre, mais on peut imaginer que ça ne ressemblera pas aux spectacles de groupes connus qui s’allient avec l’Orchestre symphonique de Montréal, par exemple…
Le concert sera coanimé par Fabien Cloutier et Erika Soucy. La prémisse est que Fabien, Erika et Philippe forment un band qui s’appelle Boum Dang Sangsue! Je ne veux pas trop m’aventurer dans ce qui va se passer exactement, mais il y aura des surprises… C’est ce qui m’anime avec Philippe, il a le don de se renouveler sans cesse.

Nous réservez-vous des surprises vous aussi?
Ah! Je ne sais pas! (Rires) Mon souhait est de faire découvrir de la musique orchestrale incroyable. Il y aura 80 musiciens sur scène, ce sera une expérience d’écoute vraiment intéressante. Ce sera aussi l’occasion de redécouvrir la musique de Philippe Brach, parce que toutes ses pièces ont été réarrangées.

«Ce ne sera pas comme écouter l’album; il y aura trois fois plus de musiciens. À travers tout ça, Philippe [Brach] a eu des idées pour habiller la salle, en matière d’éclairages et de décors, donc ce sera également une occasion de voir la Maison symphonique comme on ne la verra jamais.» -Nicolas Ellis, fondateur et directeur artistique de l’Orchestre de l’Agora.

En entrevue avec Métro l’an dernier, Philippe Brach vous a décrit comme «un jeune câlice de 26 ans qu’on va voir partout dans 10-15 ans». Vous semblez avoir une belle complicité!
(Long éclat de rire) Je vais aller trouver ça et le mettre dans ma bio…! (Nouveau rire) Un jeune câlice… Oui, on a développé une belle complicité! On vient tous les deux du Saguenay, on a côtoyé à un certain moment les mêmes salles et les mêmes événements, parce que j’avais un groupe de musique qui s’appelait Cellos on Fire – on faisait du métal, ça remonte à une autre époque! Mais on a vraiment appris à se connaître lors de l’enregistrement de son album.

Dans une capsule de promotion pour le concert, Erika Soucy dit à Philippe Brach : «Tu connais fuck all à la musique classique», ce à quoi il répond : «Mes parents ne connaissaient sweet fuck all à l’art d’élever des enfants et ça ne les a pas empêchés d’en faire quatre.» On peut s’attendre à ce que le public de Boum Dang Sangsue!, principalement composé de fans de Philippe Brach, ne soit pas nécessairement familiarisé avec le classique. Souhaitez-vous élargir leurs horizons avec ce concert?
J’espère que c’est ainsi que les gens vont le vivre. On mêle de la musique classique avec celle de Philippe Brach et tout ça devient un concert, une expérience. On a vraiment choisi ce répertoire et ces pièces pour chercher toutes les subtilités de la Maison symphonique, parce que cette salle est d’abord et avant tout une expérience pour les oreilles. Après ça, si on va voir un show de Philippe Brach, ce sera non seulement une expérience auditive incroyable, mais aussi une expérience pour tous les sens, peut-être même le goût! (Rires)

Dans votre démarche, il y a la volonté de décloisonner la musique classique. Des pianistes formés dans ce style comme Jean-Michel Blais ou Alexandra Stréliski ont déjà critiqué ce milieu pour son cadre trop rigide. Qu’en pensez-vous?
L’Orchestre de l’Agora est composé de jeunes musiciens qui ont le goût de s’engager socialement, de réinventer le rôle du musicien dans la société et qui ont aussi à cœur de réinventer la formule des concerts classiques. Donc, tous les concerts qu’on fait sortent du cadre. Récemment, on a présenté The Turn of the Screw, un opéra d’horreur de Benjamin Britten avec des fantômes et des enfants possédés à l’Espace Nomad, dans le Mile End. Le show de Philippe Brach s’inscrit dans cette lignée. Sans réinventer la musique – car elle demeure la même; elle est déjà géniale –, on change un peu le contexte et le cadre dans lequel on la présente.

Vous souhaitez la sortir de la Place des Arts?
Oui. Si on la ramène ici, c’est pour lui donner une autre saveur et pour lui amener un public moins habitué aux concerts de la Maison symphonique.

Est-ce nécessaire d’offrir ce genre d’expérience pour renouveler le public des concerts de musique classique?
Je le fais d’abord parce que, artistiquement, c’est stimulant de faire du nouveau. Par la bande, inévitablement, on essaie aussi d’attirer un nouveau public. Mais l’association que je fais avec Philippe, c’est avant tout parce que j’aime ce qu’il fait. Après, on espère que ça va donner le goût aux gens de vivre cette rencontre. Je n’aime pas du tout l’expression «démocratiser la musique classique», parce que la musique classique est déjà démocratique!

L’Orchestre de l’Agora offrait jusqu’à tout récemment 80 % de ses revenus à des organismes de charité. Comment votre mission sociale a-t-elle changé?
Pendant cinq ans, on a fait des concerts-bénéfices. On a remis plus de 40 000 $ à des organismes basés à Montréal. Mais on cherchait une façon plus personnelle d’engager les musiciens. On a donc modifié notre mission afin d’impliquer le musicien comme acteur de changement social. On a deux partenariats principaux : avec Partageons l’espoir, qui offre des cours de musique à des enfants défavorisés de Pointe-Saint-Charles, et avec Les Porteurs de musique, qui envoie des musiciens dans des lieux où les gens n’ont pas accès à des concerts, comme des centres psychiatriques ou des prisons. C’est ce genre d’engagement qu’on veut bâtir.

Quel lien établissez-vous entre la musique classique et l’engagement social? Ce n’est pas une association qu’on fait d’emblée, contrairement à d’autres styles, comme le folk ou le hip-hop.
En fait, il y a toutes sortes de thèmes sociaux qu’on peut aller chercher dans la musique classique, vraiment plus qu’on pourrait le croire. Les exemples sont nombreux, qu’on pense à Chostakovitch qui a écrit une symphonie dédiée à Leningrad alors que les nazis envahissaient la Russie, ou encore à Debussy, qui a composé de la musique pour des blessés pendant la guerre… En classique, les compositeurs et les musiciens ont toujours cru en l’humanité. Ils croient au rassemblement, au pouvoir du peuple.

Plus concrètement, c’est un désir au sein de l’Orchestre de l’Agora de s’engager socialement, un peu comme ces compositeurs. On se demande tous ce qu’on peut faire. Comment jumeler notre passion pour la musique et la volonté d’avoir un impact, si petit soit-il, sur notre communauté? L’Orchestre de l’Agora est né dans le contexte du printemps 2012. Beaucoup d’étudiants ont fait le choix de ne pas aller à leurs cours, mais de s’engager socialement.

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