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Robert Nelson, prophète en son pays

Ogden Ridjanovic, alias Robert Nelson, dont l’album Nul n’est roé en son royaume sort vendredi Photo: Josie Desmarais/Métro

Robert Nelson, célèbre «mince» d’Alaclair Ensemble, douce moitié de Rednext Level et président auto-proclamé du Bas-Canada, fait le saut en solo avec son premier album, Nul n’est roé en son royaume, qui oscille entre identité intime et collective.

On ne parle quand même pas d’un saut dans le vide pour celui qui répond au nom d’Ogden Ridjanovic dans la vie civile. Plutôt d’un «retour aux sources» pour le rappeur, qui avait peaufiné son art en solitaire avant de se joindre à la nébuleuse Alaclair.

«C’est comme remettre de vieilles pantoufles, mais des pantoufles que personne ne connaît», raconte Robert Nelson­, qui a conçu une bonne partie de l’album dans la solitude de sa maison de Saint-Boniface, en Mauricie.

«On est arrivé dans une année­ plus tranquille, côté création, pour Alaclair. En étant tout seul à la maison, c’est comme si j’avais envie de créer et de revenir à mes vieilles habitudes d’écrire en solo. Dans l’ordre naturel des choses, c’était le bon moment de faire ça.»

Musicalement, le disque s’inscrit dans le même univers musical qu’Alaclair ensemble, avec la visite ponctuelle de ses comparses Eman, KNLO et Vlooper.

Le résultat est cependant moins frénétique que certaines pièces du sextuor ou que sa collaboration avec Maybe Watson, au sein de Rednext Level. Plus posé et peut-être plus intime aussi. «Je voulais que l’album ait une couleur sombre sans être lourd», explique Bobby Nel.

«Nul n’est roé en son royaume, c’est bien sûr un jeu de mots sur le proverbe “Nul n’est prophète en son pays”. Le roi est peut-être la personne la moins libre de son royaume, parce que c’est celle qui a le plus de responsabilités. C’est la même chose pour tous les humains: on est maître de son corps, mais est-on vraiment en contrôle de sa vie?»

«C’est aussi un clin d’œil au décalage entre le succès que j’ai connu, bien humblement, et les difficultés que j’ai vécues dans ma vie personnelle, la mort d’un proche, une rupture, etc.»

Des thèmes qui se retrouvent dans les pièces plus introspectives de l’album, notamment Lignes de front et la très belle Lucioles, qui aborde de front le décès d’un ami, mort d’un accident de vélo.

«Ce n’est pas un défi pour moi de me “dévoiler”, admet Robert Nelson. Il y a tellement un écart entre ma création et la réception que les gens vont en faire. Mais j’ai quand même consulté les gens qui pourraient se sentir concernés.»

«On a parfois le sentiment qu’on est en perte identitaire- au Québec, mais j’ai l’impression que tout est là pour faire une mise à jour. C’est un peu ce que j’essaie de faire avec Robert Nelson: le sortir des livres d’histoire- pour en faire une référence de culture populaire, tout en gardant un lien avec le passé.» – Ogden Ridjanovic, alias Robert Nelson

Bienvenue au Bas-Canada
L’humour un peu absurde d’Alaclair ensemble et ses références à un Bas-Canada imaginaire sont aussi présents sur Nul n’est roé en son royaume. Difficile d’y échapper quand on porte le nom du leader de la rébellion des Patriotes de 1838 et rédacteur de la déclaration d’indépendance du Bas-Canada.

«Ce qu’on a fait avec Alaclair, c’est imaginer si la révolte de Robert Nelson de 1838 avait fonctionné et que, depuis presque 200 ans, on vivait dans une république libre du nom de Bas-Canada. La république bilingue souhaitée par les Patriotes, ça aurait l’air de quoi aujourd’hui?»

«C’est une façon de parler de qui on est, d’où on est, de ce qu’on fait, à quoi on s’identifie – mais à notre façon, en dehors des cases et des catégories toutes faites, explique Ogden Ridjanovic, qui a étudié la littérature française à l’Université McGill. On s’invente nos propres mythes en utilisant des choses qui existent, mais en les métaphorisant ou en se les réappropriant. C’est un peu ça, le travail culturel: colliger de nouvelles idées sur notre identité collective et sur notre société, en s’inspirant de ce qui est déjà là, mais en le transformant.»

C’est ce que fait Robert Nelson­ en consacrant deux chansons à des figures emblématiques du Canadien de Mont­réal, le gardien Jacques Plante et l’entraîneur Jacques Demers. Non pas pour leur apport sur la glace ou dans le vestiaire, mais plutôt pour leur pouvoir d’évocation insoupçonné.

«Il y a certains symboles qui existent ici, dans notre histoire, qui ont un fort potentiel. Jacques Plante en est un. Oui, on peut dire que ce n’est qu’un gardien du Canadien, mais on peut aussi y voir un genre de super héros, avec son masque bad ass. On peut le comicbookizer pour qu’il soit cool en 2019. Le masque représente la vulnérabilité et le besoin de se protéger, mais aussi une force d’intimidation; il a un peu l’air d’un killer avec ça. C’est la force et la vulnérabilité en même temps.»

«Évidemment, ça n’a plus de rapport avec le vrai Jacques Plante historique; Ulysse et Achille n’ont rien à voir non plus avec les Grecs anciens. Je m’amuse à créer des archétypes.»

Et le sympathique Jacques Demers, quel genre d’archétype peut-il représenter?

«C’est l’imposteur, le dilettante, le clown, soutient Robert Nelson en riant. Est-il plus intelligent qu’on le pense ou plus tata qu’on le pense? Au final, on ne le sait toujours pas. Est-ce un sage ou un fou? Peu importe, parce qu’il a réussi tout en cachant le fait qu’il ne savait pas lire. On ne sait pas s’il a le mérite, mais il rappelle au monde que, dans le fond, who cares? On s’en fout, va chercher la Coupe!»

«Les rappeurs, on est un peu les littérateurs dilettantes de la sphère culturelle en 2019. On est probablement les artistes qui utilisent le plus les mots, en dehors des romanciers, mais on est quand même vus par une partie de la société comme des analphabètes un peu tatas. Mais c’est qui l’analphabète, au final?»

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