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Pour le plaisir de lire queer

Sophie Paradis et Denis-Martin Chabot ont beaucoup de plaisir à partager leurs découvertes et leurs coups de cœur au cours des soirées Fierté littéraire. Photo: Josie Desmarais/Métro

Entre deux performances de drag et trois spectacles de musique, Fierté Montréal fait une belle place à la littérature dans sa programmation.

«Je me suis toujours dit : “C’est le fun de faire le party, mais il me semble qu’on a autre chose à offrir”», dit d’emblée le fondateur de Fierté littéraire, Denis-Martin Chabot, attablé dans un café du Village.

«Tanné» qu’on résume trop souvent la Fierté par son côté extravagant – ce qui n’est pas mauvais en soi, précise-t-il, «mais ce n’est pas que ça» –, l’ex-journaliste a lancé ces
soirées littéraires en 2012.

Résultat de la première édition : «Trois petites soirées au centre communautaire.» Puis, d’année en année, Fierté littéraire a occupé un espace de plus en plus important au sein de la programmation du festival.

«On essaie améliorer la formule, explique Denis-Martin Chabot, lui-même auteur. Au départ, on faisait des rencontres littéraires, mais c’était un peu académique. Dans le cadre d’un festival où les gens font le party, ce n’est pas toujours une bonne idée.»

C’est pourquoi la plupart des soirées littéraires se tiennent cette année au bar Le Cocktail, dans le Village. «Ça nous permet de parler de littérature différemment, dans une ambiance festive.»

Cette année, Fierté littéraire est devenu un OBNL, question d’élargir sa portée et de faire la promotion de la littérature queer à l’année longue. «Parce que tout le monde ne peut pas se rendre à Montréal pour la Fierté», souligne son maître d’œuvre.

C’est d’ailleurs dans le but de faire découvrir des auteurs qui gagnent à être connus que se tiendra pour une deuxième année d’affilée la soirée Les choix de Sophie, animée par la comédienne Sophie Paradis, également co-porte-parole de l’organisme Interligne.

«C’est une soirée axée sur la découverte, autant pour le public que pour moi. Il y a tellement d’œuvres intéressantes, tant en poésie ou en roman qu’en essai… Ça me permet à moi aussi de découvrir ma culture», fait-elle valoir.

«Et puis, comment refuser une telle offre de cet être si généreux et si charmant?» ajoute-t-elle, adressant un immense sourire à Denis-Martin Chabot, qui lui a proposé l’an dernier d’animer cette soirée.

«On ne peut pas faire autrement que d’être touchés par tous ces mots, tout ce vécu et ces univers.» -Sophie Paradis, comédienne qui anime la soirée Les choix de Sophie

«Tu me touches!, lui répond ce dernier, le regard complice. Il y a quelque chose de très beau à voir les auteurs entendre leurs mots lus par Sophie. Il y a un moment d’émotion. Il faut vraiment le voir pour le croire. On est dans un bar, mais il n’y a plus un bruit, il y a des larmes… L’an dernier, j’ai pleuré, ça m’a vraiment touché. Donc cette année j’ai dit : Sophie, tu reviens!»

Tout comme son collègue, Sophie Paradis apprécie ce volet moins connu de Fierté Montréal. «Ça montre un autre côté de la Fierté, un autre côté de nous, de la réalité des communautés LGBTQ+. C’est très important, parce qu’on n’est pas juste une sexualité ambulante.»

Littérature pour tous

Rien de mieux que la lecture pour élargir ses horizons, se familiariser avec des réalités pas toujours proches des siennes. Mais qu’est-ce la littérature queer exactement?

«C’est un terme parapluie qui sert à réunir toutes ces identités qui dérogent de la norme hétérosexuelle ou cisgenrée», explique l’auteur et professeur de littérature à l’Université de Victoria, en Colombie-Britannique, Pierre-Luc Landry, soulignant qu’au sens large du terme, queer évoque également le refus des normes.

Ce mot plaît à Denis-Martin Chabot. «On parle de livres qui ont parmi leurs thématiques l’identité sexuelle ou de genre, précise-t-il. J’aime l’expression “littérature queer”, car ça englobe pas mal tout.»

«C’est le fun de montrer que nous avons une culture à offrir. Nous avons des histoires à raconter.» -Denis-Martin Chabot, fondateur de Fierté littéraire, à propos de littérature queer.

N’y a-t-il pas un danger à confiner ces livres dans cette catégorie littéraire, alors que les histoires qui y sont racontées sont bien souvent universelles?

«Personnellement, comme auteur, j’ai horreur qu’on me mette dans une section “gai” dans une librairie. Ce que j’écris, c’est pour tout le monde», affirme Denis-Martin Chabot. Pour illustrer son point, il cite en exemple son plus récent roman, Escales parisiennes (Éditions ND), qui aborde la violence conjugale. «Même s’il parle d’un couple formé de deux hommes, une amie l’a lu et s’est reconnue là-dedans.»

«Un jour, j’aimerais qu’on arrête de dire : “Denis-Martin écrit des romans gais”, poursuit-il. Non. J’écris des romans où les personnages sont parfois des gais ou des lesbiennes, où il y a une thématique LGBTQ+.»

Reste qu’il est important de valoriser cette littérature encore peu connue. «Quand je suis sortie du placard, jeune, je ne savais pas que des romans touchaient à cette réalité, relate Sophie Paradis. Ne serait-ce que pour les jeunes qui ne sont peut-être pas au courant, ça vaut la peine de la mettre en avant, sans nécessairement catégoriser. L’ignorer ou la rendre invisible, ce n’est pas mieux.»

Pierre-Luc Landry y voit une arme à double tranchant. Parmi les effets positifs de cette dénomination, il y a en effet la visibilité. «En employant des termes, c’est plus facile de faire exister quelque chose dans l’espace public. Donc, en réunissant des œuvres sous l’appellation “littérature queer”, on leur donne une plus grande visibilité et on les présente à un plus large public.»

D’un autre côté, cette catégorisation peut avoir pour effet «d’enfermer les œuvres», ajoute-t-il. «Un public qui ne se définit pas comme LGBTQ+ qui voit un présentoir de littérature queer en librairie pourrait d’emblée ne pas s’y intéresser.»

En pleine expansion

La littérature queer a toujours existé (Virginia Woolf et Marcel Proust en sont des précurseurs), mais elle a actuellement le vent dans les voiles, comme en témoigne l’expansion des activités de Fierté littéraire.

Selon le professeur, notamment auteur du roman Les corps extraterrestres (Éditions Druide), cela s’explique par le fait qu’«on se rend finalement compte que la norme n’est pas universelle».

«On est dans un moment charnière, soutient-il. Il commence à y avoir assez de représentation pour que ça ébranle la norme. Plus on aura de films, de séries ou de livres avec des personnages LGBTQ+, plus ce sera acceptable, et peut-être qu’à un moment donné, ça n’aura plus d’importance.»

Un souhait partagé par Sophie Paradis et Denis-Martin Chabot. C’est d’ailleurs pourquoi ce dernier tient à ce que les événements organisés par Fierté littéraire soient inclusifs. «Une année, on a invité Nicole Brossard, j’étais épaté. C’était plein de jeunes, pas seulement de la communauté LGBTQ+, mais de tous les horizons… C’est important pour moi.» 

Au calendrier de Fierté littéraire :

  • Le Cabaret littéraire. Remise des prix du concours littéraire dont le thème est «Ma première fois». Des comédiens feront la lecture des textes retenus. Ce soir.
  • Le combat aux mots. Quatre panélistes défendent chacun un livre. Que le meilleur gagne! Demain.
  • Les choix de Sophie. Sophie Paradis interviewe des auteurs LGBTQ+ émergents et lit des extraits de leurs œuvres. Mercredi.
  • Auteurs à découvert. Durant cette soirée bilingue, des auteurs feront la lecture de leurs textes en sous-vêtements. Vendredi.

Programmation : fiertemtl.com

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