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La mort des étoiles des Sœurs Boulay: juste la fin du monde

Les Soeurs Boulay
Les Sœurs Boulay Photo: Pablo Ortiz/Métro

On ressent une certaine impression de fin du monde en écoutant le troisième et plus récent album des Soeurs Boulay, le bien nommé La mort des étoiles.

Lorsqu’on leur fait part de ce sentiment, les deux artistes rient à l’unisson. Un rire qui veut dire: «Bien sûr que c’est ce que ça évoque».

Il faut dire que l’album démarre avec le refrain «Que restera-t-il de nous après nous» et que la chanson titre, elle, débute par cette phrase pas plus optimiste: «Si tout est fini, s’il n’y a plus d’espoir.»

«La mort des étoiles, c’est la mort des illusions», résume Stéphanie, celle qu’on surnomme «la moitié blonde des Sœurs Boulay».

On sent les deux soeurs particulièrement préoccupées sur cet album, et un brin désillusionnée, sans être fatalistes pour autant. L’espoir et la lumière sont bien présents sur La mort des étoiles, mais il reste que le duo éprouve une certaine désillusion en cette ère de crise environnementale et de post #MeToo.

«On ne peut plus avoir la tête dans le sable. Il y a des choses qui se passent. Il faut qu’on trouve des solutions, qu’on se pose des questions, qu’on remette en question nos agissements, qu’on revoit notre façon de vivre, affirme Stéphanie. C’est ça, en fait, La mort des étoiles

Mélanie et Stéphanie ont mûri depuis la parution de leur précédent album, 4488 de l’amour, il y a de cela quatre ans. Cette pause marquée par la naissance d’un enfant pour la première et la publication d’un livre et la sortie d’un album solo pour la deuxième leur a permis de tourner le regard vers l’extérieur.

«Nos autres albums n’étaient pas plus hop-la-vie, il y avait aussi beaucoup de tristesse et de mélancolie, avance Mélanie. Mais la tristesse venait d’ailleurs, elle venait de nos relations personnelles qui chiaient, de notre incapacité à trouver un ancrage dans la vie, de toujours se sentir entre deux chaises.»

L’arrivée d’enfants dans leur vie, dont Léonard, le fils de Mélanie – qui donne son nom à une magnifique chanson sur l’album – mais aussi de ceux de leurs proches, a teinté leur perception de l’avenir. «On pense à la génération qui s’en vient, poursuit-elle. Je ne peux pas croire que je vais avoir mis un enfant au monde pour que peut-être dans 30 ans il subisse les conséquences de gestes qu’il n’a pas commis.»

Ainsi, les voix toujours en parfaite harmonie, les deux chanteuses interpellent ceux et celles qui veulent bien les entendre. «S’il-vous-plait quelqu’un, faites quelque chose», chantent-elles sur La mort des étoiles, chanson titre de l’album.

Sur La fatigue du nombre, elles s’adressent directement aux générations qui les ont précédés: «Vous étiez jeunes avant nous, votre feu a tout brûlé.»

«On l’a écrite en pensant à des gens en particulier, pour ne pas les nommer, indique Stéphanie, un sourire en coin. Des gens qui sont réfractaires au changement et à la jeunesse… Mais on s’adresse à nous en même temps, parce que nous aussi on vieillit et on risque de devenir vieux-jeu. Cette chanson est un appel à garder notre esprit ouvert.»

Ironiquement, elles ont récemment interprété ce morceau devant des parlementaires à Ottawa. «On a réalisé en la chantant que ça s’adressait à eux», relate Mélanie, amusée.

Le message passe-t-il mieux lorsqu’accompagné d’une mélodie accrocheuse? «Je pense que les messages passent mieux dans les chansons que dans les conversations, répond la musicienne brune, soulignant la difficulté actuelle d’avoir des débats de société respectueux. On dirait qu’une chanson, on peut la digérer au rythme qu’on veut ou bien décider de ne pas écouter les paroles et de juste de se laisser porter par la musique…»

«…Ou de l’écouter et ne pas se sentir concerné», complète Stéphanie.

Dans le contexte post #MeToo, les soeurs s’intéressent également à la condition féminine sur cet album. En plus d’aborder les attentes irréalistes auxquelles les femmes font face sur la touchante Au doigt – «On m’a trouvé trop ronde, je me suis faite ovale», y chantent-elles –, le dernier morceau de l’album, le bouleversant Il me voulait dans la maison, met des mots sur un phénomène trop souvent invisible, la violence psychologique.

Le documentaire Surviving R. Kelly, à propos du chanteur américain accusé de plusieurs agressions sexuelles, a déclenché une étincelle chez Stéphanie. «Ça m’a amené à prendre conscience de ce qu’est la violence psychologique, la manipulation… On dirait qu’on a de la misère à reconnaitre ça, et j’ai réalisé que la plupart des femmes autour de moi ont vécu ce type de situation, que ça n’a pas été assez nommé et que ça reste toujours impuni. Ça m’a mis dans une colère effroyable.»

Cette colère s’est transformée en une chanson  encore très éprouvante pour elle. Son enregistrement a été si douloureux qu’elle ne veut pas la jouer sur scène. «J’ai braillé toute la journée en studio. Quand tout le monde est parti, je suis restée toute seule et j’ai réussi à la chanter une fois. Mais je ne me sens pas capable de retourner là-dedans, c’est trop intense.»

«C’est vraiment cliché à dire, mais ma soeur et moi quand on travaille ensemble, on ne fait pas juste 1+1. Nos forces deviennent exponentielles et nos faiblesses s’amenuisent. –Stéphanie Boulay

«Album post-apocalyptique»

Vous l’aurez compris, il y a une charge émotive et une intensité dramatique fortes sur La mort des étoiles. Intensité qui se transmet non seulement dans la poésie des textes, plus poétiques que jamais, mais aussi dans les arrangements orchestraux qui enveloppent les chansons.

«Les cordes permettent d’aller vraiment plus loin dans la palette d’émotions. Dans ce cas-ci, elles servent bien le propos, parce que c’est un peu un album post-apocalyptique», lance Mélanie en riant.

Pour créer cette amplitude qui nous berce du début à la fin de l’album, les filles se sont entourées de musiciens avec qui elles sont «toujours rêvé de jouer», notamment Antoine Gratton, qui signe les arrangements.

Sans renier leur côté folk, Les Sœurs Boulay ont élargi leurs horizons sur le plan musical. Stéphanie y va d’une analogie : «Un premier album, c’est comme une première date : tu te présentes dans tes couleurs primaires. À la deuxième, tu oses un peu plus montrer une autre facette de toi, tout en gardant l’autre confortable. Puis, avec les années, on peut se montrer plus coloré.»

Avec ce confort vient une liberté qui a nourri l’écriture des chansons entre «la maître des mots» (Stéphanie) et la «maître des mélodies» (Mélanie).

«Pour vrai, la création est l’affaire qui me fait le plus triper au monde, s’enthousiasme la chanteuse blonde. De partir de rien, rien, rien, juste un cerveau, une voix et un instrument, et de créer quelque chose qui ensuite existe pour toujours, c’est débile mental!»

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