Nobro: le grand défoulement
On n’a rien contre les chansons douces et apaisantes qu’interprètent magnifiquement plusieurs artistes de grand talent sur les réseaux sociaux. Mais il n’y a rien comme du bon punk rock échevelé et galvanisant pour lâcher son fou et faire sortir le méchant, ce dont on a bien besoin en cette période de confinement. Ça tombe bien, le groupe montréalais Nobro lance vendredi Sick Hustle, un premier EP prometteur.
Les quatre titres de leur mini album totalisent à peine plus de dix minutes. Mais ce concentré exaltant de riffs qui décoiffent et de percussions qui rentrent dedans suffit pour évacuer le trop-plein de frustrations en ces temps angoissants.
Il procure le même effet chez ses créatrices, Kathryn McCaughey (voix et basse), Karolane Carbonneau (guitare), Lisandre Bourdages (claviers et percussions) et Sarah Dion (batterie).
En entrevue chacune depuis chez elle, la chanteuse et la guitariste se renvoient souvent la balle en répondant à nos questions : «Veux-tu continuer?» «As-tu quelque chose à ajouter?» «Je te laisse compléter.»
«J’ai toujours eu une certaine agressivité en moi, et ce depuis l’enfance, avance Kathryn McCaughey. Jouer cette musique très énergique est une façon de l’extérioriser. Aussi, j’ai déjà eu des tendances autodestructrices, donc… Karo, veux-tu poursuivre?»
«Notre musique canalise toute notre énergie, reprend sa collègue. C’est ce qui est cool avec Nobro. Comme on n’a rien à perdre, on donne tout ce qu’on a à chaque show. Le public reçoit cette énergie et c’est beau à voir.»
À défaut de pouvoir lâcher son fou au milieu d’une foule, on peut écouter Sick Hustle tout en respectant les consignes de distanciation sociale.
«C’est quand même stressant ce qu’on vit en ce moment. Ça peut faire du bien de sortir le méchant en écoutant de la musique un peu plus intense.» Karolane Carbonneau, guitariste de Nobro
Avant que la pandémie de COVID-19 ne chamboule son calendrier, Nobro était sur une superbe lancée. En mai, les musiciennes devaient partager la scène avec nul autre que les Pussy Riot lors de la Canadian Music Week, à Toronto. L’événement a été reporté à l’automne, mais sa tenue reste incertaine.
Les dates de leur tournée américaine prévue ce printemps aux côtés de Pup et Fidlar ont pour leur part été annulées. «Ce n’est pas idéal, mais ça va», affirme la chanteuse et bassiste, qui profite de cette pause obligée pour apprécier les petites choses du quotidien et composer de nouvelles chansons.
Avant la crise, la formation a tout de même eu l’occasion de tourner au pays avec Alexisonfire et The Distillers ainsi que de se produire à Montréal dans le cadre du Taverne Tour.
La sortie de Sick Hustle était initialement prévue pour le 3 avril, mais les références à la mort dans les paroles des chansons ont poussé le groupe à attendre un peu. Il faut dire que le premier titre se nomme Don’t Die. «Ces mots sont tatoués sur mon corps. Je sais, c’est stupide!» lance Kathryn McCaughey en riant.
Le contraste est frappant entre la mélodie joyeusement accrocheuse de ce morceau et ses paroles sombres, qui font notamment référence à un «volcan de cocaïne». «Je chante “Don’t diiiie” comme si c’était une façon le fun de dire qu’on ne veut pas mourir», explique la parolière en fredonnant le refrain au bout du fil.
Sur la vitaminée Til I Get It All, elle répète avec véhémence : «Don’t care if I live or die.» Cette chanson évoque l’expression de «victoire à la Pyrrhus», soit «quand tu arrives au point où tu gagnes, mais que tu ne sais plus si c’est vraiment une victoire car tu as du faire tellement de sacrifices pour y arriver», résume-t-elle.
Lorsqu’on les questionne sur leur processus de création, Karolanne Carbonneau indique que «c’est surtout Kathryn qui arrive avec les chansons, hein Kathryn?»
«Ce n’est pas complètement vrai! lui rétorque sa collègue, amusée. Karo a écrit une chanson en français, et quand elle la joue sur scène, la foule devient complètement dingue, c’est extraordinaire!»
Avec pas d’bro
Dans le nom Nobro, il y a les mots «No» et «Bro». Comme dans «pas de bro». Pour ceux qui ne seraient pas familiers avec l’expression anglophone, un bro est ami du sexe masculin. Autrement dit, un chum de gars.
Bro est aussi souvent utilisé de façon péjorative pour désigner un jeune mâle alpha «inarticulé, bagarreur, qui ne parle que de filles et de bière», comme le définit le très sérieux Urban Dictionary.
Quand Kathryn McCaughey a monté le groupe, plusieurs hommes ont voulu s’y joindre. La réponse qu’elle leur a donnée était sans équivoque : «No, bro».
Pourquoi était-ce important de former un groupe punk rock 100 % féminin? C’est entre autres pour réaliser un rêve d’enfance, raconte la chanteuse et bassiste.
«En grandissant, j’ai toujours aimé les groupes composés entièrement de filles. Même les Spice Girls, je fucking adore les Spice Girls! Puis, en découvrant le rock’n’roll, j’ai écouté The Runaways, Joan Jett, Suzi Quatro… À travers leur musique, j’ai découvert qu’être une femme est tellement stimulant!» dit-elle avec enthousiasme.
D’autant plus que les femmes sont fortement sous-représentées dans le style punk rock. On l’a personnellement constaté l’été dernier au festival ’77, où les groupes comptant des femmes parmi leurs membres se comptaient sur les doigts d’une seule main.
Qu’est-ce qui explique ce fossé? Selon Karolane Carbonneau, c’est entre autres parce qu’il manque de modèles féminins.
Pourtant, «une guitare n’a pas de genre», remarque judicieusement sa collègue. Et bien que ce n’était pas à prouver, la musique de Nobro confirme haut et fort que les filles savent rocker.
«Après avoir rencontré Karolane, Lisandre et Sarah, j’ai réalisé que tout ce qu’il faut, c’est que ce soit considéré normal qu’une fille joue des instruments perçus comme masculins», poursuit la chanteuse.
À ceux qui pourraient croire que le punk est une musique pour ados en crise, Katrhyn McCaughey ne passe pas par quatre chemins et répond avec un rire dans la voix : «Je leur dirais simplement d’aller se faire foutre! C’est triste d’être si fermé d’esprit.»
Au-delà de leurs riffs grisants, de leurs textes crus et de leur énergie brute, les musiciennes ont un vaste éventail d’influences. La preuve : elles jouent même du bongo! Et ça marche.
En plus de Nobro, certaines membres du groupe collaborent à divers projets musicaux, dont Les Shirley. La batteuse Sarah Dion accompagne notamment Émile Bilodeau sur scène. «Elle a aussi déjà fait partie d’un groupe de reggae!» mentionne Kathryn McCaughey.
«On a des influences de tellement de styles différents, ajoute-t-elle. On adore le punk, le funk, le hip-hop… Il y a de la bonne musique dans tous les genres, il faut juste être curieux.»
Sa collègue souligne qu’elle s’intéresse au punk depuis peu, elle dont le groupe préféré est Radiohead, «comme beaucoup de monde». «J’ai étudié en jazz puis en musique numérique. Je tripe sur les effets et sur les sons, ce qui ne m’empêche pas d’être dans un band de rock et de jouer des gros solos!»