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Que reste-t-il de Dédé Fortin?

Que reste-t-il de Dédé Fortin?
André «Dédé» Fortin Photo: Collaboration spéciale

Il y a 20 ans aujourd’hui, André «Dédé» Fortin, fondateur et figure de proue des Colocs, s’enlevait la vie. Au-delà de sa mort tragique à 37 ans seulement, l’artiste a laissé une marque indélébile sur la scène musicale québécoise. Vingt ans plus tard, que reste-t-il de Dédé?

Dédé Fortin, artiste novateur

La première contribution de Dédé est sans aucun doute musicale. Lui et les Colocs auront amené un grand bol d’air frais à la musique québécoise de la décennie 1990 en y intégrant des influences du monde entier.

«Je me souviens très bien de ma surprise à l’époque d’entendre un gars être capable de mélanger du hip-hop avec de la musique tzigane, de la musique folklorique et de la claquette», se rappelle Laurent Saulnier, à l’époque journaliste à l’hebdomadaire Voir.

«Ce mélange-là, c’était quelque chose d’inédit, d’original et donc d’intéressant.»

Gumboots et scat sur Passe-moi la puck, reggae sur Tassez-vous de d’là, sonorité klezmer sur Belzébuth: le groupe aura abattu les murs entre les styles tout au long de son existence.

«Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi curieux, c’était comme un petit animal qui s’intéressait à tout», illustre Mara Tremblay, qui a côtoyé le groupe pendant deux ans en tournée à titre de violoniste.

«Le trait caractéristique des Colocs, c’est d’abord cette fusion stylistique, estime Danick Trottier, professeur de musicologie à l’UQÀM. Ce mélange était très novateur à l’époque et Dédé aura été en cela un avant-gardiste.»

Au gré des différentes moutures du groupe, l’auteur-compositeur-interprète aura recruté comme guitariste un Cri de la Saskatchewan (Mike Sawatzky), un harmoniciste de France (Patrick Esposito), des percussionnistes sénégalais (Élage et Karim Diouf) et un bassiste belge (André Vanderbiest), entre autres.

Chacun aura laissé sa marque sur le son des Colocs.

«C’est très mélangé stylistiquement, mais tout de même unifié autour des instrumentistes, de la voix et de la guitare de Dédé. C’est comme si l’unification du groupe passait par la mise en relation de ses musiciens, ce qui permettait d’avoir une richesse stylistique incroyable», soutient Danick Trottier.

Un parolier et un showman unique

Cette ouverture au monde n’était pas contradictoire avec les convictions souverainistes de Dédé Fortin, bien au contraire.

«Quand il parlait de souveraineté, c’était quelque chose d’extrêmement positif qui sortait de sa bouche», rappelle le chanteur Émile Bilodeau, qui se revendique pleinement de l’héritage de Dédé Fortin. Non seulement, il était une figure métissée, multiple, mais c’était aussi une figure emballante, qui donnait le goût de le suivre.»

Par sa plume, l’artiste originaire de Saint-Thomas-Didyme, au Lac Saint-Jean, aura toujours fait se côtoyer le beau et le laid, le joyeux et le triste.

«Ce que dédé m’a légué artistiquement, c’est ce feu, cette passion, ce don de soi complet et sans artifices.» Mara Tremblay

Il suffit de lire les paroles de Bon yeu ou de La rue principale pour s’en convaincre : même ses chansons les plus accrocheuses sont écrites avec une grande lucidité.

«La marque de l’écriture de Dédé, c’est la description sociale, croit le musicologue Danick Trottier. Il aura réussi l’exploit de parler de choses extrêmement graves tout en gardant un côté contestataire et festif à la fois.»

Presque 27 ans après la sortie du premier album du groupe, force est d’admettre que ces chansons touchent encore la cible.

«À l’époque, on sentait que sa musique et ses paroles étaient ancrées dans l’air du temps. Vingt ans plus tard, on s’aperçoit que tout ça reste quand même pertinent. C’est une contribution extraordinaire d’avoir réussi à écrire, composer, arranger et enregistrer des tounes qui marchent encore aujourd’hui», remarque Laurent Saulnier,  programmateur des Francos et du Festival de jazz.

Dans sa forme, la langue de Fortin en est une de performance, affirme Danick Trottier. Elle est faite pour être chantée avec tout son cœur, comme Dédé l’a fait lors de concerts mémorables.

«C’est un peu grâce à lui que nos artistes sont décomplexés sur scène, fait valoir Émile Bilodeau. Dédé est arrivé et il sautait, il dansait, il se lançait partout. C’était vraiment un entertainer. Quand je regarde Les Louanges, Hubert Lenoir ou Lydia Képinski, je ne peux pas faire autrement que de penser à l’influence scénique directe de Dédé.»

Un rappel tragique

En se donnant la mort, André Fortin aura malheureusement laissé à plusieurs le souvenir d’une figure

tragique, écrasée sous le poids de la célébrité et de sa détresse intérieure.

Paradoxalement, son décès aura contribué à ce qu’on amorce enfin une conversation collective sur la santé mentale.

«Dédé donnait tout à son art, à sa musique. Il était toujours investi dans ce qu’il faisait, peut-être trop», dit Mara Tremblay, qui avait partagé un repas avec lui une semaine avant sa mort.

«Personnellement, ça m’a complètement revirée de bord dans l’acceptation de mes troubles de confiance. Je me suis dit: ’’OK, je ne veux pas me rendre jusque-là’’. Je partageais trop de ses doutes et de ses difficultés. C’est à ce moment que j’ai commencé à travailler sur mon estime de moi et que je me suis rendue compte que j’étais capable. Mais ça prend du support et de l’aide.»

«Veut, veut pas, sa mort tragique nous a vraiment aidés à détruire le tabou de la dépression chez les hommes, plaide de son côté Émile Bilodeau. Il nous a permis de comprendre qu’on est toujours à risque, malgré le succès qu’on peut vivre.»

En dépit de son départ trop hâtif, Dédé occupe une place de plus en plus importante dans le panthéon de la musique québécoise.

«Pour tous les musiciens qui sont importants dans un milieu, il y a processus de canonisation qui s’opère après la mort, un peu comme on l’a connu avec John Lennon ou Elvis, observe Danick Trottier. Aujourd’hui, Dédé est un incontournable de la chanson québécoise, une grande figure».

Le succès de sa musique est encore là pour en témoigner.

«Ce qu’il a laissé, ce sont des albums qui sont extrêmement denses en termes d’écriture, de compositions et d’arrangements. Ce sont des disques très riches», analyse Laurent Saulnier. Vingt ans après sa mort, Dédé fait partie des meubles! On chante ses chansons  dans les karaokés, autour d’un feu de camp, à la Saint-Jean. Dédé a influencé et va continuer à influencer toute sorte de monde.»

Si vous ou un de vos proches êtes en détresse, appelez l’Association québécoise de prévention du suicide, au 1 866 APPELLE (277-3553).

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