Avec «Small Axe», Steve McQueen raconte l’histoire oubliée de l’Angleterre noire
Le réalisateur britannique oscarisé Steve McQueen livre, avec la série de films Small Axe, une fresque historique de l’Angleterre noire, largement oubliée des ouvrages officiels.
Cinq films, plus de six heures d’images et près de vingt ans couverts, la mini-série du metteur en scène noir produite par Amazon et la BBC est un projet colossal, peut-être celui d’une vie.
Né à Londres de parents originaires respectivement de la Grenade et Trinité-et-Tobago, Steve McQueen, réalisateur de 12 Years a Slave (2013), est lui-même un produit de cette vague migratoire caribéenne qu’a connue l’Angleterre durant les années 1950-60.
C’est un peu l’histoire de ces Britanniques, nés dans des colonies devenues progressivement indépendantes et partis vivre en Angleterre, qu’a voulu raconter le metteur en scène de 51 ans dans cette série diffusée à partir de vendredi sur Amazon aux États-Unis et parallèlement sur la chaîne BBC One au Royaume-Uni.
Small Axe mélange des épisodes directement tirés de la réalité, comme le premier volet, Mangrove, avec des parties qui s’attachent davantage à restituer l’atmosphère d’une époque, à l’instar de Lovers Rock.
«Je voulais porter à l’écran des histoires qui n’étaient pas connues», a expliqué le réalisateur lors d’une table ronde virtuelle organisée durant le festival du film de New York, où plusieurs volets de Small Axe ont été présentés.
«Elles n’étaient pas écrites dans les livres d’histoire», a-t-il insisté, et pourtant, «elles ont été très importantes dans l’histoire du Royaume-Uni».
La culture caribéenne a eu une influence marquante en Angleterre, rappelle-t-il. Le carnaval de Notting Hill, qui rassemble chaque année plusieurs centaines de milliers de personnes dans l’ouest de Londres, en est l’un des exemples les plus évidents.
Grande et petite histoire
Pour constituer son matériau, Steve McQueen a réalisé des centaines d’interviews et s’est quasiment mué en archiviste. «J’étais passionné à l’idée de parler à ces gens, d’enregistrer leur histoire.»
Il voulait aussi montrer la réalité du racisme institutionnel au Royaume-Uni, incomparablement moins documenté par la télévision et le cinéma que son équivalent aux États-Unis.
Le point de départ de Small Axe se situe en 1968 et correspond à l’un des épisodes les plus marquants du combat contre la discrimination et les préjugés en Grande-Bretagne.
Il évoque le destin oublié de Frank Crichlow, petit entrepreneur aspiré malgré lui dans cette lutte, par l’entremise de son restaurant, Mangrove, devenu un symbole pour toute une communauté à Notting Hill, quartier depuis gentrifié.
Maître du réalisme, connu pour son cinéma intense et sans emphase, Steve McQueen recrée, au fil des épisodes de Small Axe, quelques moments phares de l’histoire des Britanniques d’origine caribéenne, mais aussi beaucoup de petits instants, tout aussi précieux pour saisir ce qu’était leur quotidien.
Lovers Rock est, à ce titre, un volet totalement atypique, axé autour d’une soirée dansante, avec quelques scènes de transe collective d’une rare authenticité.
Les personnages de Small Axe sont pour l’essentiel des gens ordinaires qui ont eu foi en leur place dans une société largement hostile. C’est la «petite hache» (small axe) de la chanson éponyme de Bob Marley, qui, à force de coups répétés, finit par abattre le «grand arbre» (big tree) de l’inégalité.
Côté production, Steve McQueen a voulu profiter de ce projet pour offrir à des comédiens noirs un écrin.
«Au Royaume-Uni, il y a au moins deux générations d’acteurs qui n’ont jamais eu l’opportunité de briller», a-t-il expliqué. «Et c’est désolant.»
Le réalisateur de Shame a aussi constitué, derrière la caméra, une équipe très ouverte à la diversité, lui qui a déjà reproché à Hollywood d’être trop fermé.
Steve McQueen a dédié Small Axe à George Floyd, Américain noir dont la mort aux mains de la police a déclenché un mouvement civique de grande ampleur en mai-juin dernier.
«J’aurais voulu que George Floyd soit là aujourd’hui, mais il n’est pas mort en vain », a dit le quinquagénaire Caméra d’or à Cannes en 2008 pour Hunger. «Les films Small Axe racontent, comme d’autres, ce que c’est que d’être noir en ce monde.»