Le Cinéma L’Amour: une salle historique et une vocation qui survivent
MONTRÉAL – Si la pornographie disparaît petit à petit des grands écrans du Canada, le Cinéma L’Amour – dans le quartier Mile End, à Montréal – est l’exception à la règle en continuant de présenter deux nouveaux films osés par semaine sur l’écran de sa salle historique.
« Nous sommes dans un environnement voyeur, exhibitionniste, sans stress, sans drogue et sans violence, assure le propriétaire, Steve Koltai, qui a hérité du cinéma de son père. Nous demeurons ouverts parce que c’est une entreprise familiale, que nous avons de bons employés et une bonne ambiance. »
Sur Internet, des témoignages plus sensationnalistes les uns que les autres sur une expérience au cinéma sont partagés. M. Koltai suggère au public de le vivre lui-même pour en juger.
« Il faut venir et le vivre. Venez avec votre copine ou votre copain, ou seuls. »
Deux billets coûtent 10,50$, un dollar de moins pour les spectateurs de l’âge d’or. Une fois à l’intérieur, tout dépend du client, affirme Steve Koltai, qui ne cache pas qu’il a vu de tout au cours de sa carrière.
« Tout ce que vous pouvez possiblement imaginer s’est passé, assure-t-il. Ils font l’amour, ils se masturbent, ils échangent de partenaire. Si vous y pensez, c’est arrivé. »
Malgré tout, l’institution et les clients demeurent respectueux et discrets. « Si vous venez ici pour vous énerver, on préfère que vous ne veniez pas », lâche le gérant du cinéma depuis de nombreuses années, Robert Casini. De plus, il y a une règle immuable: on ne fume pas.
Durant le jour, le public est surtout composé de personnes plus âgées. Le cinéma peut compter sur son lot d’habitués. D’après M. Casini, certains clients fréquentent le cinéma depuis 30 ans. Ils paient leur billet, regardent quelques minutes du film, puis jasent simplement avec les employés le reste du temps.
Derrière l’enseigne jaune soleil – qui, elle, n’a rien de discret –, le comptoir de friandises et le mur de DVD à vendre se cache un morceau de l’histoire de Montréal, une salle qui aura 102 ans cette année. L’intérieur du cinéma a été préservé de façon presque intacte depuis son ouverture, en 1914. Le cinéma s’appelait alors Le Globe et présentait des films en yiddish ou des pièces de vaudeville.
Le journaliste indépendant Dane Lanken, qui a déjà publié un ouvrage sur les salles de théâtre iconiques de Montréal, considère que c’est un exploit que L’Amour ait gardé sa vocation première.
« Pour un si vieux théâtre qui a originalement été construit comme cinéma, le fait qu’il projette encore des films est très inusité. »
À l’intérieur, le balcon en fer à cheval est intact, tout comme les loges doubles à l’avant, qui sont maintenant offertes comme loges pour couples. Les administrateurs de la salle mettent beaucoup d’efforts et de couches de peinture pour qu’il en soit ainsi. La plupart de l’équipement original a été conservé dans l’immeuble.
Dans les années 1960, alors que la télévision grugeait les audiences des cinémas, ceux-ci se sont tournés vers le cinéma érotique pour survivre, explique M. Lanken. En 1969, l’institution a été renommée The Pussycat, puis est devenue le Cinéma L’Amour en 1981.
« L’Amour a survécu, pour quelque raison. La plupart des autres cinémas qui présentaient des films pornographiques ont fermé parce que la porno est devenu plus disponible, d’abord en vidéo puis sur l’Internet », explique le journaliste.
Et combien de temps encore L’Amour durera-t-il?
Les temps sont durs, admet Steve Koltai. Le propriétaire n’a pas augmenté les prix d’admission depuis des années, et sa longévité est en partie due au fait qu’il possède l’immeuble et qu’il a des locataires.
« Certains jours, on perd de l’argent », avoue-t-il.
Le cinéma tente d’élargir sa vocation, accueillant notamment des événements communautaires sans lien avec la pornographie.
Le gérant, Robert Casini, est optimiste: le cinéma coquin a encore de nombreuses années devant lui, même si des établissements semblables, comme le Metro Theatre à Toronto ou le Fox Theatre à Vancouver, qui ont changé de vocation.
« On sera toujours là », affirme-t-il, confiant.