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Suzy Favor Hamilton: l’envers de la médaille

Photo: collaboration spéciale

Dans Fast Girl, confessions d’une athlète devenue l’escort girl no 1 de Las Vegas (traduction quelque peu sensationnaliste du plus approprié sous-titre original: A Life Spent Running from Madness), l’olympienne américaine Suzy Favor Hamilton raconte son parcours.

C’est l’histoire d’une athlète, mais pas un livre sur l’athlétisme. Les mémoires d’une femme qui a été escorte, mais pas des confessions exclusivement consacrées à ce volet de son existence. C’est un commentaire sur la pression avec laquelle doivent composer les sportives de haut niveau, mais pas que. C’est d’abord et avant tout un récit sur l’impact que la maladie mentale peut avoir sur notre vie et sur celle des gens qui nous entourent.

Écrit avec Sarah Tomlinson, ce témoignage n’est certainement pas ce à quoi la majorité des lecteurs peuvent s’attendre en voyant sa couverture. Au bout du fil, Suzy Favor Hamilton confie qu’elle ne compte plus le nombre de gens lui ayant dit qu’ils avaient été soufflés par le compte-rendu sobre, émouvant et incroyablement honnête de son périple en montagnes russes. Qui débute par les souvenirs de son enfance, dans le Wisconsin, où, en tant que coureuse championne, elle faisait la fierté de toute sa communauté. Où elle a appris à toujours gagner. Car «deuxième, ce n’était pas assez». Où elle était la fille soi-disant «parfaite». «La société m’avait dicté de me comporter d’une certaine manière et c’est ce que je faisais», remarque-t-elle.

Elle a fini par développer un trouble de comportement alimentaire pour avoir ce qu’elle croyait être «un corps de coureuse modèle». À la maison, elle a tenté de compenser pour les mauvais coups de son frère aîné Dan, qui avait un comportement erratique. Diagnostiqué sur le tard comme souffrant de troubles bipolaires, il a été laissé à lui-même dans cette famille où régnait «le déni, le silence». Il a fini par se donner la mort en 1999.

L’esprit de Dan traverse le livre de Suzy. Elle confie avoir beaucoup pensé à ce grand garçon qui l’agaçait sans arrêt, lui faisait même peur, parfois, lorsqu’elle était petite. «J’ai réalisé que je n’avais jamais réellement fait son deuil. Que je n’avais aucune idée de ce qu’il avait traversé. Beaucoup de gens riaient de lui quand il était jeune parce qu’il avait des idées farfelues. J’ai pris conscience de la façon dont il avait dû se sentir, seul, en crise, sans aucun soutien. Contrairement à moi.»

Car Suzy a fini par recevoir un diagnostic de bipolarité, comme son frère. Mais seulement en 2013, après des années marquées par des épisodes de détresse profonde, suivis d’accès de frénésie au cours desquels ses proches ne la reconnaissaient plus. Où son mari, et tout premier amour, Mark Hamilton, a tenté de la comprendre, sans être forcément outillé pour le faire. «Il m’a dit être resté avec moi parce qu’il savait que je n’étais pas la femme qu’il avait connue et aimée. Que ce n’était pas réellement moi.»

«Le message que je veux passer c’est: Ne jugez pas, aimez.» Suzy Favor Hamilton

Mal médicamentée, l’athlète aujourd’hui âgée de 47 ans a vécu un cauchemar lors de ses trois participations aux Jeux olympiques, qui se sont tous soldés par un retour au pays sans la médaille espérée, par elle, oui, mais surtout par ses sponsors, par sa ville, par ses parents. Les J.O. de Barcelone, en 1992, où l’anxiété lui a fait faire de l’insomnie avant la course – l’horreur. Ceux d’Atlanta, qui n’ont pas été bien mieux. Puis, le «pire moment de sa carrière»: la finale du 1500m à Sydney, où une attaque de panique l’a poussée à tomber au milieu de la piste et faire mine d’être blessée. Un secret qu’elle a longtemps gardé, par honte.

Mais dans son livre, Suzy ne nie rien. Elle parle de tout, ouvertement. De cette fausse chute, de sa vie personnelle, de son expérience à Vegas.

Car après l’échec sportif et la naissance de sa fille, le mal-être est devenu omniprésent. Pour tenter de l’oublier et de sauver son mariage qui battait de l’aile, elle a proposé à son époux d’aller dans le Nevada pour faire du parachute – et passer la nuit avec une escorte. C’est là, raconte-t-elle, qu’elle «a eu la piqûre» et «ressenti l’envie criante de devenir escorte à son tour». Ce qu’elle a fait, posant ses pénates au Trump Hotel, près du Strip, mais loin de son mari et de sa fille, pour exercer ce métier d’une façon qu’elle qualifie «d’extrême et dangereuse». «Comme je prenais les mauvais médicaments, j’étais dans un brouillard total. Je pensais au sexe 24 heures sur 24. Mes accès de manie m’ont fait croire que rien d’autre n’existait. Mais l’hypersexualité fait partie de la bipolarité. Les comportements sexuels à risque sont souvent des mécanismes de défense. Tant de gens ne le comprennent pas, n’en parlent pas», se désole-t-elle.

Désormais elle en parle. Tout comme elle parle de ce jour de 2012, où un journaliste de tabloïd l’a «démasquée», comme elle dit. Et que la nouvelle s’est propagée, telle une traînée de poudre. «J’ai reçu des tonnes de courriels bourrés de préjugés, colériques. On me conseillait de me suicider comme mon frère. D’autres sommaient mon mari de me laisser, car j’étais une “pute”, une “salope”. C’est important de comprendre que ce reporter a fait une chose terrible. Je ne l’en remercie pas. D’aucune façon. Mais en même temps… il m’a aidée. Je sens qu’il fallait que ça arrive afin qu’on me diagnostique – enfin! – correctement. Sinon, la maladie aurait encore son emprise sur moi. Et je ne serais peut-être pas ici pour raconter mon histoire.»

Art Suzy Favor Hamilton couvertureFast Girl
Confessions d’une athlète devenue l’escort girl nº1 de Las Vegas
En librairie
Aux éditions Talent Sport

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