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Le poil, c’est politique

Judith Lussier

Mai tire à sa fin et, pour une troisième année, j’ai participé à Maipoils, ce mois de réflexion sur la place de la pilosité dans nos vies. J’ai trouvé dans cet exercice l’outil idéal pour comprendre les raisons qui nous poussent à épiler des parties de notre corps. Est-ce qu’on le fait pour soi, pour les autres, par peur du jugement?

Cette année, je me suis demandé s’il s’agissait d’un enjeu vraiment porteur pour le féminisme. Après tout, nous faisons face à des défis plus urgents! Récemment, nous avons réalisé que nos droits reproductifs étaient encore menacés! On n’a pas mieux à faire que de revendiquer le droit de laisser nos aisselles s’exprimer? C’est d’ailleurs l’argument qu’avancent parfois les détracteurs de Maipoils. «Vos poils, on s’en fout», dit-on en substance. L’enjeu du poil devenant le symbole de l’inutilité du féminisme en 2019. Tout serait tellement gagné pour les femmes qu’on en serait à se battre pour des niaiseries.

Pour mesurer la portée politique de l’enjeu, il a fallu que le politique s’en mêle. C’est ce qu’a fait Catherine Dorion en publiant une photo de son aisselle poilue accompagnée d’explications sur la démarche. En moins de temps qu’il n’en faut pour que des étudiants snowflakes ne s’indignent légitimement d’une conférence sur le droit d’exister des personnes trans, des chroniqueurs réactionnaires ont réagi.

Les détracteurs cachent mal leur jeu en ridiculisant­ Maipoils. Si c’était une bagatelle, ils nous laisseraient tranquilles.

Se rendent-ils compte que leur dégoût assumé, leur mépris, leur attachement au conformisme, leur besoin d’exprimer leur inconfort face à un choix personnel, leur tentative de discréditer une élue par sa prise de position politique, leur sentiment de légitimité à distinguer le beau du laid sont autant d’éléments qui démontrent le bien-fondé de Maipoils? Par leurs discours simplistes qui présentent peu d’arguments autres que de tourner la chose en ridicule, ils incarnent précisément les pressions desquelles on cherche à s’émanciper.

Après ça, on peut prétendre qu’on s’en fout, des poils, ces chroniqueurs – ainsi que les nombreux commentateurs qui les appuient – démontrent qu’il s’agit d’un enjeu bien réel et, qui plus est, d’un enjeu qui touche particulièrement les femmes, qui font l’objet d’un double standard à cet égard. En témoigne cette blague faite aux dépens de Manon Massé cette semaine : «Je suis content que la chef du deuxième groupe d’opposition dise qu’elle ne va pas cracher dans la soupe. Ce n’est pas le fun non plus d’avoir des poils dans la soupe», a dit notre premier ministre à l’Assemblée nationale. Je doute qu’un élu moustachu se soit déjà fait interpeller de la sorte. Je suis allée relire une entrevue que Manon Massé m’avait accordée en 2012 au sujet du caractère politique de sa fameuse moustache. Elle révélait alors qu’on lui avait déjà dit : «Je te parlerai quand tu te seras rasé la moustache.» Encore aujourd’hui, on exclut du débat des gens sous prétexte qu’ils ne se conforment pas à des normes aussi rigides que ridicules.

Les détracteurs cachent mal leur jeu en ridiculisant Maipoils. Si c’était une bagatelle, ils nous laisseraient tranquilles. Mais ça ne l’est pas. Une majorité d’enjeux féministes a trait au contrôle de nos corps. Si on ne peut pas disposer de si petits attributs sans en subir de contrecoups, on est bien peu de chose.

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