Au-delà du mannequin conventionnel
Anti-Agency est le nom d’une agence de mannequins qui refuse de faire comme tout le monde. Ses fondatrices expliquent pourquoi leur compagnie privilégie l’esprit frondeur.
«Je n’ai rien contre les mannequins qui montrent leurs seins, mais je tique quand je constate la disparité qui existe parfois dans la façon de représenter les hommes et les femmes», déclare la mannequin d’Anti-Agency et poète primée Amy Blakemore. La jeune femme à la tête rasée ajoute: «La soumission implicite est la seule chose que je refuse de faire pour un client – c’est un principe féministe que j’ai.»
Voilà une chose qu’on entend peu dans l’industrie de la mode, notamment de la bouche d’une mannequin. «Nous n’engageons pas des gens qui veulent devenir mannequins», explique la cofondatrice d’Anti-Agency Pandora Lennard. Mme Lennard et son associée, Lucy Greene, qui ont lancé officiellement l’agence londonienne en début d’année, n’exercent aucune pression sur leurs mannequins, dont la beauté ineffable est souvent relevée par des tatouages et des piercings, pour qu’ils se conforment aux normes de l’industrie. Ils sont maîtres de leur apparence – de leur pilosité à leur IMC – et des contrats qu’ils choisissent d’honorer.
Le monde de la mode n’a jamais envisagé d’un bon œil que les mannequins puissent jouir de la liberté d’expression et du droit de choisir. Mais les fondatrices de cette nouvelle agence – elles n’ont que 24 ans! – ne savent-elles pas que des individus qui disent ce qu’ils pensent sont susceptibles de nuire aux affaires? «Les marques aiment ceux qui peuvent représenter de façon authentique leur identité, affirme Mme Greene. Avec nous, elles savent qu’elles ne travailleront pas avec des potiches. Et puis, nos mannequins sont peut-être francs, mais ils savent se tenir.»
Ce genre d’attitude convient à certains clients, notamment à Dr. Martens, Vivienne Westwood et ASOS. «Quand un contrat est signé avec Anti-Agency, le mannequin et la marque savent à quoi s’attendre», énonce le musicien, mannequin et barman Chris Tanner. L’artiste maquilleuse et mannequin Portia Williams acquiesce: «Les clients retiennent vos services pour ce que vous êtes, pas seulement pour ce dont vous avez l’air.»
Le modèle d’entreprise pour le moins particulier des deux stylistes est parfaitement en phase avec les jeunes de 20 ans, qui peuvent difficilement être associés à une seule activité professionnelle – c’est l’avènement du mannequin-DJ-artiste!
«Nos mannequins sont ambitieux, et les gens cherchent à aller au-delà de l’image pour mieux les connaître», explique Mme Lennard.
«Plusieurs mannequins féminines font ainsi partie d’une nouvelle vague de «filles à personnalité forte», comme «Chloe Norgaard [à la chevelure arc-en-ciel], Cara Delevingne et Kendall Jenner».
Par ailleurs, l’usage promotionnel des médias sociaux amène le public à s’intéresser à la vie privée des mannequins d’une façon nouvelle. «Ce qui attire, ce sont eux en tant qu’individus», affirme Mme Greene. D’où les photos Instagram de Cara Delevingne tirant la langue ou de Miley Cyrus montrant ses fesses. Les agents artistiques se servent également des médias sociaux pour découvrir de nouveaux visages. «Vous pouvez en apprendre beaucoup sur leur vie grâce à Facebook et à Instagram», explique Mme Greene. «C’est un peu la traque via Facebook», ajoute Mme Lennard.
Pour les deux femmes – qui ont d’abord vu dans leur association un moyen d’aider leurs amis créatifs à gagner un peu d’argent –, le temps est venu de tirer profit de l’engouement du monde de la mode pour l’excentricité et d’envoyer leurs 50 protégés à l’assaut du marché planétaire. Et, qui sait, peut-être l’armée de mannequins nouveau genre d’Anti-Agency réussira-t-elle à faire passer la beauté conventionnelle pour quelque chose de tellement dépassé!