Fort de Senneville: un site historique inaccessible au public
Les ruines d’un vieux fort français, construit en 1703 par la famille LeBer, dorment tranquillement sur les berges du lac des Deux-Montagnes à Senneville, incognito, à l’extrême ouest de l’île de Montréal.
Selon un document publié par le ministère de la Culture et des Communications (MCC), le Fort de Senneville a longtemps été un important poste de traite pour le commerce de la fourrure. À travers le temps, il a aussi eu des fonctions résidentielles et militaires avant d’être incendié par les troupes américaines en 1776 pendant la guerre d’indépendance. Avec le Fort de la Montagne, situé en plein centre-ville, le Fort de Senneville est le seul vestige militaire qui date du Régime français sur l’île de Montréal.
Des fouilles effectuées en 1971 et 2004 ont révélé une collection abondante d’objets qui témoignent des premiers contacts entre Européens et Amérindiens. Selon le document du MCC, l’intégrité et la qualité de l’endroit en font un site archéologique remarquable sur les plans de la recherche et de la diffusion de l’histoire du Québec.
Un lieu fermé au public
Si le fort est classé historique et archéologique en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel depuis 2003 (anciennement appelée Loi sur les biens culturels), il reste toutefois inaccessible au public. Les ruines sont situées sur un terrain privé et aucune visite publique n’est autorisée depuis 2004.
La famille Hackney, propriétaire du site de 1898 à 2004, laissait les curieux venir visiter l’endroit lorsqu’on leur en faisait la demande. «Mes parents ont toujours permis aux gens de venir voir le fort», a expliqué Alison Hackney, une des membres de la famille et ex-conseillère municipale à Senneville. La famille a finalement vendu le terrain à d’autres propriétaires en 2004.
Avant la vente, les Hackney ont donné la permission à la Société du patrimoine de l’Ouest-de-l’Île (SPOI) d’organiser des visites publiques à quatre reprises au cours de l’été, mais ce fut la seule expérience du genre.
«C’était vraiment exceptionnel, les gens ont adoré l’expérience. On avait engagé l’historien et ethnologue Michel Bélisle pour faire les visites. Les gens venaient partout, ils étaient emballés et les propriétaires aussi», explique Claude Arsenault, actuel président de la Société pour la sauvegarde du patrimoine de Pointe-Claire et membre du conseil d’administration de la SPOI. «Le problème, c’est qu’il s’agit d’un terrain privé. Il faut que les gens soient bien encadrés à un moment précis pour faire des visites. C’est certain que les propriétaires ne veulent pas être dérangés et je les comprends. Sauf que c’est quand même un site patrimonial important», ajoute-t-il.
Terrain à vendre
Lors de la vente de leur terrain, les Hackney ont approché Parcs Canada pour leur demander s’ils souhaitaient acquérir les lieux. «Nous avons fait certains efforts pour convaincre le gouvernement fédéral d’acheter le site, parce qu’il a un grand intérêt historique et national. On leur offrait toute la pointe de terre. Ils auraient pu en faire un petit parc national, mais cela n’a pas fonctionné. Le gouvernement n’a pas montré d’intérêt», explique-t-elle.
Du côté de Parcs Canada, on explique que le terrain était trop couteux. «Les spécialistes de l’organisme ont conclu, en 2004, qu’il s’agissait d’un investissement dépassant les moyens financiers disponibles», a laissé savoir Geneviève Patenaude, relationniste chez Parcs Canada. Mme Patenaude a aussi indiqué que la priorité de l’organisme est de gérer les lieux historiques dont il est déjà responsable.
Mme Hackney a ensuite approché le gouvernement provincial, qui a aussi refusé l’offre. Selon elle, on lui a répondu que Québec n’avait pas les fonds pour ce type d’acquisition et que ce n’était pas le rôle du gouvernement.
Restauration subventionnée
En 2003, le gouvernement du Québec a donné une subvention de 470 000$ à la famille Hackney pour financer la restauration du fort. L’argent a entre autres permis de solidifier les pierres des murs et de refaire d’importants travaux de maçonnerie.
Selon la Loi sur le patrimoine culturel, les propriétaires de biens patrimoniaux classés au Québec sont obligés de les préserver et d’effectuer les travaux nécessaires pour en assurer la pérennité. Pour ce faire, ils peuvent demander de l’argent au gouvernement.
Selon Claude Arsenault, ce genre de subvention devrait toutefois impliquer des ententes avec les propriétaires. «Quand le ministère a subventionné la restauration du fort, il aurait dû demander aux propriétaires de permettre une ou deux visites par année. Quand le Québec injecte de l’argent, il y a normalement une entente pour mettre en valeur ces sites-là», explique M. Arsenault.
Du côté du ministère de la Culture, on indique qu’aucune disposition n’oblige les propriétaires à ouvrir le site au public. Le propriétaire d’un site patrimonial doit toutefois aviser le MCC au moins 60 jours à l’avance lorsqu’il désire vendre sa propriété. Le gouvernement peut alors décider de racheter le terrain, ce qui n’a pas été le cas pour le Fort de Senneville en 2004.
Les propriétaires actuels du fort ont refusé de commenter l’affaire.