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Jean Ziegler: inlassable révolutionnaire

Photo: Dreampixies 2016

Sociologue suisse émérite, intellectuel passionné, Jean Ziegler n’a jamais baissé sa garde dans sa lutte féroce contre le capitalisme.

À 83 ans, il s’acharne tant dans ses livres que dans ses interventions à condamner les injustices. Pas une seule fois depuis 17 ans, quand il était Rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, ou encore aujourd’hui comme membre du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme, il n’a renoncé à défendre ses convictions, mais surtout les plus démunis de ce monde.

C’est ce parcours hors du commun et essoufflant que le réalisateur Nicolas Wadimoff a décidé de montrer dans son documentaire Jean Ziegler, l’optimisme de la volonté présenté dans le cadre du Festival Vues d’Afrique. En trame de fond, un voyage à Cuba où Jean Ziegler, accompagné de sa femme Erica Deuber Ziegler, voit ses convictions confrontées à la réalité. M. Ziegler a également récemment publié un livre largement autobiographique intitulé Chemins d’espérance – Ces combats gagnés, parfois perdus mais que nous remporterons ensemble.

À 83 ans, pourquoi continuez-vous votre combat contre «le monstre capitaliste»? Vous pourriez prendre du bon temps.
Non, non! Je suis un intellectuel blanc – seulement 13 % de la population mondiale est blanche et domine la planète depuis 500 ans – né dans un pays très corrompu, mais libre. J’ai vécu ma vie d’abord à l’université et maintenant aux Nations unies. Si, avec tous ces privilèges et après avoir vu des enfants mourir de faim, on ne se battait pas contre l’ordre meurtrier du monde, on ne pourrait plus se regarder dans le miroir.

Vous martelez depuis des années qu’«un enfant qui meurt de faim est un enfant assassiné». Pourquoi dites-vous cela?
Toutes les 5 secondes, un enfant de moins de 10 ans meurt de faim ou de ses conséquences immédiates. Ce sont les chiffres de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui ne sont d’ailleurs contestés par personne. Et dans ce même rapport, publié chaque année en avril, la FAO indique que l’agriculture mondiale, dans son développement actuel, pourrait nourrir 12 milliards de personnes. Le problème, c’est le manque d’accès à la nourriture, le manque de pouvoir d’achat. Donc, un enfant qui meurt de faim ne relève pas de la fatalité, il est assassiné par l’ordre cannibale du monde.

La faim est la première cause de mortalité dans le monde. En février, le Programme alimentaire mondial et les Nations unies ont averti que 20 millions de personnes risquent d’en mourir dans les 6 prochains mois. Pourquoi cela arrive-t-il encore?
En raison, notamment, de la spéculation boursière légale sur les biens alimentaires, comme le riz, le maïs et le blé, qui couvrent 75 % de la consommation mondiale. Les hedge funds [fonds spéculatifs] et les grandes banques mondiales spéculent sur ces biens, évidemment à la hausse. Lorsque le prix de ces aliments augmente, les mères qui ont très peu d’argent ne peuvent tout simplement pas s’en procurer pour nourrir leurs enfants. Ceux qui spéculent font des profits astronomiques, mais dans les bidonvilles du monde, où 1,1 milliard de personnes vivent, des millions d’enfants meurent de faim.

Existe-t-il des solutions?
C’est vous, c’est moi, c’est la société civile, ce sont les intellectuels, les écrivains, les cinéastes qui doivent réveiller les consciences et mobiliser la résistance contre l’impérialisme renaissant, contre l’arrogance du capitalisme.

En 1964, vous avez rencontré Che Guevara. Alors qu’il était en visite à Genève en tant que ministre cubain de l’Industrie, vous lui avez servi de chauffeur. Vous seriez-vous autant engagé si vous n’aviez pas croisé sa route?
Le Che m’a montré la voie de l’intégration subversive, c’est-à-dire entrer dans les institutions et les utiliser pour ses propres convictions. Je voulais partir et combattre avec lui, mais il me prenait pour un petit bourgeois inutile. (Rires) Il m’a dit : «Tu es né ici [à Genève], c’est ici que tu dois lutter.» Et il m’a sauvé la vie, sinon je serais enterré depuis longtemps dans une fosse commune au Guatemala ou en Bolivie. Je suis donc devenu professeur à l’université, puis député au Parlement de la confédération suisse et, depuis 17 ans, j’œuvre aux Nations unies. J’ai essayé d’infiltrer et d’utiliser les institutions en fonction de ce que je croyais juste.

Pourquoi avez-vous accepté d’être le sujet d’un documentaire?
C’est une arme formidable dans le combat d’idées même si c’est un risque, puisque vous n’avez aucune influence. Mais j’ai accepté ce risque parce que je connais l’œuvre cinématographie de Nicolas Wadimoff. Et accessoirement parce que c’était mon étudiant et que je connais sa droiture. On est souvent en désaccord, mais il a une empathie fondamentale.

Selon vous, la révolution cubaine, qui a chassé du pouvoir Fulgencio Batista en 1959, peut-elle être un modèle?
À Cuba, la révolution a réussi à sortir un peuple de la misère, de la faim, de l’humiliation afin de lui donner des conditions d’existence humaine. L’espérance de vie à Cuba est aujourd’hui la même qu’en Suisse. Ce que Cuba a réalisé est un exemple rayonnant pour tous les peuples du Sud. La Bolivie, l’Équateur, le Nicaragua suivent ce chemin. Hugo Chávez au Venezuela a changé la vie de millions de gens sous-alimentés et analphabètes. Il leur a donné la dignité humaine. Des pays africains empruntent aussi cette voie.

Vous avez accusé les États-Unis d’être le bras armé des entreprises multinationales. L’arrivée au pouvoir de Donald Trump, qui a déjà coupé certains fonds d’aide internationale, risque-t-elle d’empirer les choses?
Totalement. Aux Nations unies, on s’attend à la sortie des États-Unis du Conseil des droits de l’homme. Les Nations unies sont menacées d’une coupe budgétaire violente puisque les Américains sont le plus grand contributeur, avec 26 % du budget. Si on coupe le budget, cela signifie que des millions de personnes dans les pays les plus pauvres du monde seront privées d’assistance et de protection.

Jean Ziegler, l’optimisme de la volonté
À la Cinémathèque jusqu’à dimanche
Chemins d’espérance
En librairie aux Éditions Seuil

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