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Et si Bob Marley avait menti?

Photo: Paul Hawthorne

Pas très loin du portrait d’Ernesto Guevara, «el Che», dans la même pièce que Nelson Mandela, peut-être entre James Dean et Audrey Hepburn, la bouille de Rosta Nesta Marley ne laisse pas sa place au panthéon des symboles éculés, acculés au mur des chambres d’adolescents et d’autres nostalgiques.

Mercredi, les Jamaïcains, et dans une moindre mesure le reste de la planète, fêtaient le 68e anniversaire de naissance de Bob, celui qui deviendra l’effigie presque monopolistique de la musique reggae, de la culture rastafari, mais aussi de valeurs aussi puissantes que la tolérance, la paix, la justice et – le cliché est nécessaire – de l’amour.

Mais justement, derrière tout symbole humain se cache … un homme. Avec ses torts et ses travers. Oui, le Che a tué des innocents, oui, Mandela a longtemps été inscrit sur la liste des terroristes du Congrès américain et oui, Bob Marley, emblème des emblèmes de l’ouverture aux autres, a mondialisé une culture homophobe, voire criminellement homophobe, et machiste. La Jamaïque, terreau du reggae et de la culture rasta, s’est vue quelques fois attribuer par des organismes humanitaires l’insigne déshonneur du «plus homophobe du monde».

Si le prophète reggae n’a jamais directement adressé la question dans ses chansons, on ignore ou on oublie trop souvent cette tache au dossier du rasta, mouvement religieux qui promeut du reste un éveil spirituel et des valeurs quasi exemplaires. Plusieurs contemporains de Bob Marley, à commencer par ses disciples du groupe punk Bad Brains, ont fermement condamné l’homosexualité dans leurs chansons. Sur Don’t Blow Bubbles, le chanteur H.R. insinue même que le VIH est une réponse de Dieu – Jah – à ce «problème». Les membres s’en sont confessés depuis, condamnant leur aveuglement biblique.

Des groupes reggae sont même allés jusqu’à appeler au meurtre. «Des chansons entières sont consacrées à l’élimination de l’homosexualité comme celle dont le refrain est « Tuez-les, les gais doivent mourir, des balles dans la tête, ceux qui veulent les voir morts, levez la main »», relate un article paru dans la Chronique, un mensuel d’Amnestie internationale.  Parmi les groupes cités : Elephant Man, Bounty Killer, Beenie Man et TOKÂ, souvent exclus des festivals internationaux en raison de leur incitation à la haine.

Le résultat? La découverte, le 7 juin 2004, du corps du militant gai Brian Williamson, marqué de 70 coups de couteaux. En septembre 2010, Dwayne, un jeune jamaïcain a été battu à mort à Kingston. Blessé gravement, il a succombé à ses blessures après que l’hôpital public ait refusé de lui prodiguer des soins en raison de son homosexualité. Des dizaines et des dizaines de victimes comme celles-là.

Pour plusieurs gais, c’est donc l’exil, la mort… ou la prison. «Quiconque est jugé coupable du crime abominable qu’est la sodomie risque une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à dix ans », stipule un article de la loi jamaïcaine.

Ce cocktail homophobe, de source à la fois légale, religieuse, musicale et culturelle, dépasse bien sûr la seule culture rasta. Reste que derrière le symbole du célèbre chanteur aux dreadlocks se cache une culture intransigeante pour ces hommes qui choisissent les hommes et ces femmes qui choisissent les femmes. «La musique peut rendre les hommes libres», disait Bob Marley. Elle peut aussi faire exactement le contraire.

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