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Un accord historique vers un pouvoir civil au Soudan

Des hommes et des femmes célèbrent un «nouveau Soudan»
Des hommes et des femmes célèbrent un «nouveau Soudan» Photo: Jean Marc MOJON / AFP
Abdelmoneim ABU IDRIS ALI et Jean-Marc MOJON - Agence France-Presse

Les militaires au pouvoir et les meneurs de la contestation ont signé samedi un accord historique qui ouvre la voie à un transfert du pouvoir aux civils au Soudan, où la population espère désormais davantage de liberté et une vie meilleure.

Si le chemin vers la démocratie risque encore d’être long, la signature de l’accord, conclu à la faveur d’une médiation de l’Ethiopie et de l’Union africaine, a donné lieu à des célébrations dans la capitale, où ont afflué par milliers les habitants de Khartoum mais aussi ceux d’autres villes du pays.

«C’est la plus grande célébration que j’ai jamais vue dans mon pays. Nous avons un nouveau Soudan», s’est réjoui Saba Mohammed, une femme de 37 ans, qui agitait un petit drapeau du Soudan.

L’accord a été signé par Mohammed Hamdan Daglo, N.2 du Conseil militaire, aux commandes du pays depuis la destitution du président Omar el-Béchir en avril, et Ahmed Al-Rabie, représentant de l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance de la contestation, en présence de chefs d’Etats, de Premiers ministres et d’autres dignitaires étrangers.

La signature des documents définissant les 39 mois de transition à venir a eu lieu lors d’une cérémonie dans une salle de conférence de Khartoum. Elle a été accueillie par des applaudissements nourris, selon un journaliste de l’AFP.

«La joie du Soudan»
La cérémonie a débuté au son de l’hymne soudanais, suivi de la lecture de versets du Coran et de la Bible, une petite minorité de Soudanais étant chrétiens. «La joie du Soudan», pouvait-on lire sur les murs de la salle de conférence.

Après avoir brandi un livre vert contenant les documents de transition, un leader du mouvement de contestation, Mohammed Naji al-Assam, a appelé le Conseil militaire à travailler «à l’unisson pour établir une démocratie durable».

La composition du Conseil souverain, doté de 11 membres (six civils et cinq militaires) et chargé de mener la transition, doit être annoncée dimanche et celle du gouvernement le 28 août.

L’accord conclu début août a mis fin à près de huit mois d’un mouvement de contestation inédit qui a mené le 11 avril à la chute d’Omar el-Béchir, resté 30 ans au pouvoir, avant de se retourner contre le Conseil militaire.

L’accord a été accueilli avec soulagement des deux côtés après des semaines de bras de fer, les généraux s’attribuant le mérite d’avoir évité une guerre civile, et une foule de manifestants célébrant la victoire de leur «révolution».

Alors qu’ils défilaient, sous un soleil de plomb, dans le centre-ville interdit à la circulation, des milliers de Soudanais ont fait le «V» de la victoire, lançant en choeur «pouvoir civil».

Après la désignation des membres du Conseil souverain, la nouvelle instance devra confirmer mardi le nom du Premier ministre: Abdallah Hamdok, un ex-économiste de l’ONU choisi dès jeudi par la contestation.

S’il est confirmé, M. Hamdok aura la lourde tâche de relever l’économie du pays, qui s’est écroulée après que la sécession du Sud en 2011 l’a privée des trois quarts de ses réserves de pétrole.

Inflation et pénuries ont à ce titre été des moteurs de la contestation.

Au marché central de Khartoum, marchands et clients espèrent qu’un gouvernement civil les aidera à nourrir leur famille.

«Nous avons été sous le contrôle de l’armée pendant 30 ans, mais aujourd’hui nous laissons cela derrière nous car nous nous dirigeons vers un régime civil», se réjouit Ali Youssef, un étudiant de 19 ans qui travaille sur le marché et espère que les prix des légumes baisseront.

Si la plupart attendent de voir les changements qu’apportera la transition dans leur vie quotidienne, certains profitent déjà d’un changement immatériel: la liberté d’expression.

«J’ai 72 ans et en 30 ans de régime de Béchir, j’ai le sentiment que jamais rien de bien n’est arrivé», affirme Ali Issa Abdel Momen, un vendeur de légumes. «Mais maintenant, grâce à Dieu, je commence à respirer.»

Mais beaucoup de Soudanais et d’observateurs doutent encore de la capacité des institutions de transition à limiter le pouvoir de l’élite militaire.

«Réussite historique»
Si ceux-ci sont minoritaires au sein du Conseil souverain, il sera d’abord dirigé par un général pendant 21 mois.

Lorsqu’il est sorti de la salle de conférence après la signature de l’accord, le général Mohammed Hamdan Daglo a été accueilli par une foule hostile.

Des membres des forces paramilitaires qu’il dirige l’ont vite fait entrer dans sa voiture, alors que la foule autour de lui criait: «sang pour sang».

Les forces du N°2 du Conseil militaire sont accusées d’avoir dispersé dans le sang le 3 juin un sit-in de manifestants. Selon des médecins proches du mouvement de contestation, 127 personnes avaient été tuées ce jour là.

Sur le plan international, l’une des premières conséquences de l’accord devrait être la levée de la suspension du Soudan de l’UA, décidée en juin.

Des dignitaires africains ont assisté à la cérémonie, comme le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, figure de la médiation, et le président de la commission de l’UA, Moussa Faki. Ce dernier a qualifié la signature de l’accord de «réussite historique (…) de la volonté nationale».

Le chef de l’opposition soudanaise, Sadek al-Mahdi a lui parlé d’une «journée de transition vers un pouvoir civil qui aboutira à la paix et au changement démocratique».

Le jour de la signature devait être celui de l’ouverture du procès de l’ex-président Béchir, inculpé pour corruption, mais elle a été repoussée sine die.

Vendredi, Amnesty International a averti contre la possibilité pour M. Béchir d’échapper à un procès devant la Cour pénale internationale, qui a émis contre lui deux mandats d’arrêt notamment pour «génocide» au Darfour, une région de l’ouest du Soudan théâtre d’années de guerre.

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