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L’Union fait l’Europe

FRANKFURT, GERMANY - JUNE 13: A huge euro logo is seen in front of the headquarters of the European Central Bank (ECB) on June 13, 2005 in Frankfurt, Germany. The German economy was suffering due to the dollar's rise against most major currencies on Monday, especially the euro, which hit a new nine-month low against the dollar. (Photo by Ralph Orlowski/Getty Images) Photo: Getty Images

L’Union européenne a connu son lot de tempêtes depuis le début de l’année. Dépassée par un afflux de réfugiés jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale, obligée de financer une Grèce sans le sou, déstabilisée par une Catalogne qui veut être maître chez elle et engluée dans un marasme économique, l’Europe semble abonnée aux revers de fortune. Chaque crise qu’elle traverse a alimenté les Nostradamus de salon, prompts à prédire l’écroulement de l’édifice européen. Métro a fait le point avec Jean Quatremer, observateur de l’Union européenne depuis 1990 pour le journal Libération, qui assure que l’intégration européenne, malgré ses hauts et ses bas, demeure l’avenir du continent.

Une Union habituée à mourir
Plusieurs observateurs voyaient dans les discussions entourant le financement de la Grèce la «fin de la solidarité européenne». D’autres, tout aussi nombreux, voient dans les murs construits par la Hongrie pour s’isoler des réfugiés qui tentent de traverser son territoire la mort des accords de Schengen qui prévoient la libre circulation des personnes en Europe.

Pour Jean Quatremer, que Métro a rencontré au cours d’un récent séjour à Montréal, ce catastrophisme, maintes fois répété depuis la fondation de l’Union européenne, a toujours sonné faux.

«La presse des 40 dernières années a été ridicule. Elle a prédit je ne sais combien de fois l’explosion de l’Europe, et l’avenir lui a toujours donné tort. C’est comme dans les années 1980, où chacun prédisait le déclin de l’empire américain face au rising sun japonais. Trente ans plus tard, où en sommes-nous?

«Si on regarde les choses dans le temps, on constate que l’Europe n’a fait que s’approfondir au fil de ses crises. Pendant 70 ans de construction communautaire, elle est devenue un espace de paix qui s’est intégré sans effusion de sang et sans effacement des cultures nationales.

«À ses balbutiements dans les années 1950, l’Europe unie, ce n’était qu’un tarif douanier extérieur commun et qu’une politique agricole harmonisée. L’Union européenne, c’étaient six pays, et rien d’autre. Aujourd’hui l’Europe, ce sont 28 membres unis par une monnaie, un espace de liberté et un marché communs, et qui tentent de s’accorder sur une seule et même politique étrangère.»

«En Europe, on ne veut pas partager notre richesse. Mais ce qu’on ne comprend pas, c’est que les réfugiés continueront à affluer si, chez eux, c’est toujours la guerre et la misère. Et c’est normal qu’ils veuillent venir en Europe et en Amérique: ce sont des trous noirs démographiques.» – Jean Quatremer, journaliste au quotidien français Libération en poste à Bruxelles depuis 1990

L’euroscepticisme, une menace réelle
L’union fait la force, dit l’adage. Mais la tentation du chacun pour soi a gagné plusieurs membres de la famille européenne depuis la crise économique de 2008, à commencer par la Grande-Bretagne, qui doit tenir un référendum l’année prochaine pour savoir si, oui ou non, son peuple veut rester dans l’Union.

«Il y a des motifs d’inquiétude, c’est vrai, analyse Jean Quatremer. Il y a un détachement – et même une méfiance – d’un certain nombre de peuples à l’égard de l’Union européenne. C’est peut-être qu’aujourd’hui l’Europe a un problème fondamental avec sa démocratie. Après tout, l’Union européenne s’est construite contre les peuples, parce qu’elle n’avait pas le choix de le faire pour voir le jour. Les États-nations n’auraient jamais vu le jour non plus si on avait demandé à tous les peuples qui les composaient de voter l’unification par référendum.

«Mais l’Europe ne peut plus continuer comme ça: il faut qu’elle implique davantage les gens dans les affaires de Bruxelles. Ça demande une démocratisation sur tous les plans. Les gens s’aperçoivent qu’ils n’ont aucun moyen de faire entendre leur voix dans des domaines qui les touchent directement, comme l’adoption du budget et les taux d’imposition. Si l’UE ne se démocratise pas davantage, la construction européenne demeurera, mais elle sera détestée par l’ensemble des peuples. Ce ne sont pas les crises économiques qui représentent un réel danger pour l’Europe: c’est la perte de confiance des gens à son égard.»

Une Europe aux tempes grises
Le deuxième article de la Constitution européenne stipule que «l’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’Homme». Autant de valeurs héritées des Lumières qui, face à la montée de l’extrémisme en Europe, semblent menacées à l’intérieur même du continent qui promettait d’en être le phare.

Selon Jean Quatremer, la crise économique explique en partie la montée de la xénophobie. Mais le journaliste de Libération croit que le vieillissement du continent constitue également un facteur important.

«Quand vous êtes vieux, vous êtes assis sur un tas d’or et vous n’avez pas envie de le partager – encore moins avec des étrangers. Vous vous sentez agressé par tout changement qui bouleverse vos habitudes et votre mode de vie – et c’est un homme de 57 ans qui vous le dit!

«C’est peut-être là un problème crucial de l’Europe. Une société vieillissante développe des peurs, et c’est sur ce terreau-là que s’enracine le lent abandon des libertés, soit des régimes qui, au nom de la sécurité, sont prêts à pulvériser des droits fondamentaux.»

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