Des régions racistes
Tante: «Au restaurant, pas question d’engager des Noirs. Plusieurs de nos clients refuseraient de se faire servir par eux.»
Grand-mère: «Ben voyons? À Montréal?»
Tante: «Ben oui. C’est comme ça.»
Grand-Mère (d’une voix douce et désolée): «C’est vraiment triste. Ce sont des gens comme nous. Quelle différence qu’ils soient noirs ou pas?»
Cette scène m’est revenue en tête ce week-end. Le pedigree de ma grand-mère? Née et élevée à Guénette, village d’au plus 200 habitants, en banlieue de Mont-Laurier, forte d’une cinquième année et n’ayant jamais eu la chance de voyager.
Rien pour l’empêcher, comme je l’ai souvent entendue le faire, de pourfendre le racisme à la première occasion utile.
Et combien de «Noirs» avait-elle côtoyés dans sa vie? Quatre. D’abord les membres d’un band de jazz obscur que mon oncle avait ramené du bar, directement de Montréal et de façon inattendue et inopinée, un soir de… réveillon de Noël.
Malgré le côté intimiste de cette soirée d’ordinaire vouée à la petite famille de région, les musiciens ont été accueillis tels les Rolling Stones et ont joué, échangé et trinqué jusqu’aux petites heures, comme il se doit. Magique moment de symbiose humaine.
Le quatrième «Noir» côtoyé par grand-maman? Michel Adrien, Haïtien ayant fui, comme tant d’autres, le régime Duvalier. Prof de maths, il devait, lors d’un séjour de remplacement à Mont-Laurier, tomber amoureux de la région et de… Yolande, originaire du coin. Réciproque, le coup de foudre a mené à trois enfants, à une tonne de petits, et… à quatre mandats consécutifs à la tête de la ville.
Cet automne encore, le Festival international de théâtre devait recouvrer son titre de plus grand événement du genre en Occident, accueillant, pour sa neuvième édition, plus d’une vingtaine de troupes en provenance de chaque coin du globe.
C’est ainsi que des Italiens, des Allemands, des Marocains, des Coréens du Sud et autres Dominicains devaient livrer, dans leur langue maternelle, leur prestation devant des salles bondées de citoyens de la région.
Le soir, toutes et tous se retrouvaient sous le chapiteau envahissant, pour l’occasion, la rue principale.
Danse, alcool, bouffe du monde assurant un merveilleux pied de nez à tous ceux construisant leur carrière sur l’exclusion, la haine, la division et le racisme. Concert des nations à la sauce lauriermontoise. Autre moment de symbiose humaniste, signé région.
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Le pourquoi de ces pensées soudaines? L’article de Lessard, qui dévoilait que quelques apparatchiks du PLQ s’inquiétaient des origines haïtiennes de Dominique Anglade, lesquelles pourraient «l’empêcher de passer en région».
Ce «Québec profond», suintant de mépris mal habillé, ne correspond en rien à la réalité.
Du racisme au Québec? Bien entendu.
De la xénophobie? Encore plus. Comme partout ailleurs.
Parce qu’il suffit de quelques vils bougres politicomédiatiques mal avisés, galvanisant les craintes de l’inconnu, pour tenter l’instrumentalisation des esprits. Mais davantage en région que dans la grosse ville? Vraiment? Alors, aucun mononcle colon dans les grands centres urbains? Tous des lecteurs assidus du Monde diplomatique? Des abonnés systématiques au théâtre expérimental? Absence complète de ti-counes en tout genre? L’inverse des régions, donc, pensez-vous?
Si oui, sortez un brin de la ville et de vos gênants préjugés.
Invitation pour vous, et sur mon bras, à la prochaine édition du festival.
Vous y constaterez que ma région ne porte pas de camisole blanche tachée de moutarde baseball, sait lire, s’intéresse comme ailleurs à l’actualité nationale et internationale, va parfois au théâtre (magnifique salle à 20 millions de balles, de quoi tomber sur votre postérieur montréalais), aime le shish-taouk du Libanais du coin, et… se contre-ciboirise de la couleur de la peau d’Anglade, du moins autant que de l’orientation sexuelle de Sylvain Gaudreault.
Qui, ici, s’enfarge tristement dans les préjugés?