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Poupée, Kafka et Camus

CHRONIQUE – 1923. Franz Kafka, écrivain praguois de langue allemande, traîne dans les rues de Berlin. Bien que son roman La métamorphose, publié de son vivant – au contraire du Procès – lui ait valu une notoriété certaine, l’auteur est perturbé, ambivalent, insécure. Écrire? Bah. Diffuser? Encore moins sûr. Peu avant son décès, il fera d’ailleurs promettre à son ami Max Brod de brûler l’entièreté de son oeuvre encore inédite. Le monde de la littérature remercie encore aujourd’hui, chaudement, le refus d’obtempérer de ce dernier.

Tourmenté, donc, et accessoirement atteint de tuberculose, l’auteur ambigu s’assoit, à la recherche du temps perdu, dans un parc berlinois. Une enfant ayant égaré sa poupée favorite pleure. Empathique, le quarantenaire sans progéniture se met, lui aussi, à la recherche de la disparue. Sans succès.

De retour le lendemain, Kafka remet à la petite fille une lettre écrite, de ses dires, par la poupée en question. On y lit : « S’il te plaît, ne pleure pas. Je suis partie en voyage pour voir le monde. Je vais t’écrire sur mes aventures. »

Débute ainsi une relation rare et puissante où l’écrivain-culte assure, enthousiasmé, la lecture de missives d’aventures vécues par l’âme soeur de l’enfant. Sa dernière conjointe, Dora Diamant, racontera d’ailleurs à Brod le sérieux consacré par l’écrivain à l’opération. Le même, apparemment, que celui investi dans son oeuvre.

Après un certain temps, et anticipant sa mort prochaine, Kafka raconte à l’enfant le retour, à Berlin de la poupée prodigue. Lui remettant celle-ci, l’enfant s’exclame : « mais elle ne ressemble pas du tout à ma poupée! »

« Mes voyages m’ont changée », écrit la poupée, dans une nouvelle lettre l’accompagnant.

Satisfaite de l’explication et empreinte du bonheur retrouvé, l’enfant quitte le parc, embrassant la figurine.

Ce sera la dernière rencontre issue de cette improbable relation, l’écrivain devant mourir, moins d’un an plus tard, dans un sanatorium autrichien.

Quelques années, plusieurs en fait, passèrent. Maintenant adulte, l’enfant d’antan se remémore les charmes du souvenir d’une époque révolue – celle où un auteur de renommée internationale, occupé ailleurs par une oeuvre encore incertaine, s’assurait néanmoins du bien-être d’une enfant éplorée et inconnue.

En admirant les contours de la poupée reçue, la petite fille devenue grande se voit stupéfaite : une minuscule lettre, jusqu’alors inconnue, tombe au sol. Signée elle aussi par Kafka, on y lit : « Tout ce que tu aimes sera probablement perdu, mais à la fin, l’amour reviendra d’une autre façon. »*

***

Ironiquement peut-être, Albert Camus fait éventuellement écho aux propos de l’écrivain tchécoslovaque – qu’il admire profondément – en affirmant, peu avant sa mort tragique : « Recevoir et donner, n’est-ce pas après tout le bonheur? La vie innocente? Mais oui, c’est la vie elle-même, forte, libre, dont nous avons tous besoin… Allons donc nous occuper du prochain spectacle. »

Que la lumière de ces deux bonzes humanistes puisse éclairer nos sociétés, en 2023, d’empathie, de solidarité et d’actes désintéressés.

Joyeuses fêtes à toutes et tous!

*Sources

Franz Kafka (1883-1924), l’assaut immobile : Une vie, une œuvre (1987 / France Culture)

https://www.lorientlejour.com/article/1286497/2022-kafka-et-la-poupee.html;

Albert Camus, l’icône de la révolte , 55′  – 2020  – PLAJ PRODUCTIONS

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