Privilège

Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les
usagers du transport en commun.

Comptoir Air France, aéroport de Genève, un après-midi de juillet.

Pour la période estivale, la chronique Hors du commun se déplace vers d’autres lieux reliés au transport en commun. Question de voyager ensemble, un peu plus loin.

Un monde fou est agglutiné autour du comptoir de service d’Air France. Et, comme il est de mise dans un aéroport, les gens y sont pressés, fébriles et stressés. Un cocktail qui peut être assez explosif quand lesdits services sont amputés par un manque flagrant d’effectifs, c’est-à-dire quand trois des cinq guichets sont fermés.

Un homme particulièrement énervé soupire comme un buffle et marmonne assez fort pour être entendu de tous : «Ces cons vont finir par me faire manquer mon vol!!!»

Il faut préciser que nous ne sommes pas là pour nous enregistrer, mais nous trouvons plutôt à l’étape où il est possible notamment de revendiquer des privilèges, de payer pour un surclassement ou un supplément de bagages.

Une dame d’un certain âge est en pourparlers avec l’une des deux agentes, depuis maintenant un bon 10 minutes. Étant la suivante, je me trouve à proximité de la scène et écoute leurs propos.

L’agente garde un calme bienveillant. Elle s’adresse à la dame avec douceur et respect. La cliente répète que son mari ne peut voyager avec elle aujourd’hui. Et qu’elle souhaite vraiment pouvoir récupérer ses points aériens. «Je sais, madame. J’ai une note au dossier en ce sens. Il est malheureusement impossible de mettre ces points à votre dossier. Nous pouvons, bien entendu, vu les circonstances, comme mon collègue vous l’a déjà offert à l’époque au téléphone, vous rembourser le billet.»

Je ne saisis pas tout de suite quelles sont ces «circonstances». Mais la requête de la cliente, elle, je l’entends bien. Elle semble y tenir, à ses points aériens. Sans eux, explique-t-elle à l’agente, elle ne pourra pas obtenir sa carte «Privilège» qui, comme son nom l’indique, offre des privilèges de taille aux voyageurs qui la détiennent.

Puis, soudainement je saisis : si le mari ne peut être du voyage aujourd’hui, c’est parce qu’il n’est plus de ce monde. La dame est veuve. Et obtenir une carte Privilège m’apparaît soudainement comme une bien piètre consolation devant une aussi grande perte. J’ai été appelée à l’autre guichet et n’ai donc pas pu comprendre si le statut de voyageuse de la dame avait été ou non bonifié.

Le deuil ne se vit certainement pas mieux en première classe. Mais quand on voyage désormais seul, ça laisse non seulement plus de place pour les jambes, mais peut-être aussi un peu pour la tristesse.

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