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Kenya: réalité masaï

Jordan Pouille - Metro World News

«C’est l’avion suisse. Toujours à l’heure», dit Pasei, 55 ans, alors qu’il contemple le ciel avec sa femme préférée, Kiserian. Il porte fièrement un shuka rouge vif – un habit traditionnel, une sorte de couverture – et une fausse montre en or.

Pasei a huit femmes et toute sa communauté vit sur une petite terre sèche, près de la route de Mombasa, au milieu d’une zone industrielle polluée, coincées entre l’aéroport Jomo Kenyatta et le Parc national de Nairobi, à 12 km du centre-ville.

«Il ya deux ans, une terrible sécheresse nous a chassés de nos terres. Notre bétail étant mort, nous avons dû nous réfugier dans la capitale pour trouver de l’eau et de la nourriture, explique tristement Pasei, qui a quitté sa province natale de Samburu, dans le nord du Kenya, ravagée par la sécheresse, la faim et la maladie.

Toutes les femmes de Pasei ont la tête rasée et portent de magnifiques anneaux et ornements dans leurs lobes d’oreille distendus. Elles se touchent mutuellement le front avec la main – leur façon de dire «salut».

C’est Kiserian qui a cons­truit la manyatta de Pasei : une petite maison circulaire bâtie à partir d’excréments de bétail, de boue, de cendres et d’urine humaine, ce qui la rend imperméable. À l’intérieur, il fait complètement noir. Le couple dort dans des lits séparés. Les 18 enfants et sept autres femmes de Pasei vivent dans des huttes séparées, faites de plaques de tôle ondulée.

Ils possèdent quelqueschèvres et moutons. «Nous vendons leur lait pour 40 shi­llings (0,45 $) le litre aux travail­leurs des usines environnan­tes, raconte Pasei. Et pour les grandes occasions, nous mangeons un de ces bestiaux.»

Pour vivre, les hommes travaillent comme gardiens de sécurité dans les supermarchés. Les femmes fabriquent des colliers artisanaux pour la boutique de souvenirs du Parc national ou le marché masaï de Nairobi, «mais nous devons faire face à la concurrence des Chinois», qui exportent des marchandises masaï directement des usines du Guandong.

Dans le bidonville masaï, l’argent est rare; les enfants n’ont pas de jouet et vont rarement à l’école locale qui est payante.

«Nous ne pouvons payer qu’une semaine d’école de temps à autre», explique Pasei. Dans cette société patriarcale, les fillettes ne peuvent utiliser les toilettes mises à leur disposition par une usine à proximité. À cause des conditions d’hygiène déplorables, les enfants souffrent de diarrhée chronique et de pneumonie.

Que font les autorités de Nairobi? Elles doivent déjà gérer un problème bien plus important : Kibera, un bidonville d’un million de personnes – un des plus grand d’Afrique –, situé dans le sud de la ville.

Alors, le dernier espoir des Masaï pour sortir de cette misère pourrait venir d’un pasteur chrétien. En échange de quelques efforts. «Je veux qu’ils cessent la circoncision, une cérémonie pénible pour les garçons, dit le révérend Ondarir, qui vit dans une hutte adjacente. Et bien qu’illégale, l’excision des fillettes est toujours profondément enracinée. Les femmes craignent de ne pas pouvoir se marier si elles ne passent pas par cette étape.»

Par ailleurs, le gouvernement kenyan demande aux Masaïs de cesser leur chasse au lion – tant recherchés par les touristes – dans le Parc national tout proche. «Mais comment un Masaï peut-il se déclarer un guerrier s’il ne peut pas tuer un lion?» s’interroge Pasei.

Le révérend Ondarir a beaucoup de projets pour ses protégés. Mais pour l’instant, l’argent manque pour les réaliser.

«Nous avons besoin d’une génératrice pour produire de l’électricité la nuit afin de rendre le campement plus sûr», dit-il. Ces 4 000 Masaïs vivent dans un endroit dangereux et négligé, où même les taxis locaux refusent de se rendre.

Après avoir dit au revoir à mes nouveaux amis masaïs, je me suis retrouvé face à cinq hommes qui me bloquaient le passage, me menaçant avec des pierres. «C’est aussi notre terre. Tu ne peux pas venir, dire bonjour et t’en aller… sans nous donner ton argent.» Pasei et son groupe ont alors surgi en hurlant, les faisant fuir. Même dans un bidonville de Nairobi, les guerriers ma­saïs sont craints.

À savoir

Vivant dans des villages isolés, les Masaïs sont réputés pour leur extraordi­nai­re capacité d’adap­tation aux environne­ments les plus hosti­les. Ils con­nais­­sent la prétendue «civilisation moderne» et le confort, mais encore mainte­nant, ils n’envient rien ni personne.

Beaucoup d’entre eux ont été expulsés de leurs territoires au Kenya et en Tanzanie dans les années 1990 et se sont regroupés dans des villages à l’intérieur des parcs nationaux et des réserves, avec la complicité de chefs masaïs corrompus. Sur leurs terres traditionnelles spoliées et maintenant privatisées, ont poussé des centaines de serres de culture de fleurs – la majorité des roses vendues en Europe viennent du Kenya, devenu le cinquième exportateur mondial de fleurs –, de fermes d’autruches et de poulets, et de champs de blé.

Les Masaïs

Parmi les plus de 40 groupes ethniques vivant au Kenya, les Masaïs sont les plus connus.

  • Qui sont-ils?
    Des gardiens de bétail au mode de vie semi-nomade. Ils seraient 1,5 million en Tanzanie et au Kenya.
  • Drôle de diète
    Tradition­nellement, ils se nourrissent d’un mélange de lait et de sang frais de vache.
  • Dur, dur d’être guerrier
    Les hommes doivent passer une série d’initiations pour devenir guerrier (morani), notamment se faire circoncire, se faire arracher les dents, manger de la viande crue et même se brûler.
  • Dans les nouvelles
    Il y a un mois, on rapporté qu’un groupe de Masaïs avait effectué un raid sur une école de filles de Narok, dans le sud-ouest du pays, pour trouver des épouses.

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