Ce qu’il reste de Bernie
La scène n’aurait pas été mieux écrite par Hollywood: alors que Bernie Sanders donnait un discours devant des dizaines de milliers de ses supporters à Portland, un petit oiseau a virevolté autour de lui, suivant l’index levé du candidat démocrate avant de se poser sur le lutrin, provocant le délire de la foule qui l’ovationna pendant de longues minutes.
Cet engouement était impossible à imaginer il y a à peine un an, et personne n’aurait non plus deviné que la campagne de Sanders réussirait à faire sérieusement suer sa rivale. À l’approche de la convention démocrate qui confirmera l’investiture de Hillary Clinton, à la fin juillet, on aurait tort de croire que tout cela n’a été qu’un petit velours sur le cœur des progressistes états-uniens qui doivent maintenant rentrer chez eux bredouilles.
Il y a de fortes chances que le mouvement vers la gauche forcé par Sanders pendant les primaires ne tienne pas longtemps face à l’adversaire Trump. Mais la campagne de Sanders aura impulsé un renouveau de la gauche social-démocrate en lui donnant une légitimité qui l’a fait entrer de plein droit dans l’arène politique fédérale.
On a dit de Sanders qu’il était le candidat de la jeunesse – en dépit de ses 74 ans – parce qu’il a rallié plus de 70 % des jeunes démocrates. En canalisant les frustrations de ces jeunes dans des propositions de réformes progressistes, Sanders a changé l’équilibre gauche-droite du parti démocrate, et peut-être même plus largement de la politique américaine; il a rendu respectables des idées auparavant jugées radicales aux États-Unis, menant la campagne la plus campée à gauche d’un candidat aux présidentielles de mémoire récente.
Ses partisans ne disparaîtront pas avec la nomination de Clinton. Si les stratèges de la campagne de Bernie Sanders font preuve d’ambition, ils pourraient mettre cette mobilisation au service de gains tangibles pour les forces progressistes américaines.
À court terme, ils pourront faire sortir le vote, surtout celui des populations les plus marginalisées. Ils pourront soutenir la douzaine de candidats démocrates et indépendants qui proposent les mêmes politiques que Sanders: soins de santé universels, gratuité universitaire, salaire minimum à 15 $ l’heure, réforme du financement électoral, réglementation plus stricte du secteur financier et stratégie de lutte contre les changements climatiques.
À moyen et long termes, l’équipe et les milliers de bénévoles de la campagne Sanders pourraient œuvrer à regarnir les rangs du parti en attirant de nouveaux membres parmi les électeurs qui l’avaient abandonné faute de s’y reconnaître : la classe ouvrière blanche et les militants de la gauche. Ils pourront créer et animer des sections locales du parti, proches des gens. Ils pourront, grâce à tous ces efforts, continuer à pousser le parti vers la gauche, forcer un débat sur l’influence démesurée de la grande entreprise. Ils pourraient, enfin, préparer la prochaine génération de leaders.
Que Bernie ait capté l’air du temps, ou qu’il ait provoqué un changement, on ne peut le savoir. Mais en mettant de l’avant des idées résolument progressistes, il aura contribué à fait mûrir un fruit que d’autres candidats, militants et électeurs pourront cueillir.