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DeuXX, le cinéma en genre et en nombre

Photo: Montage Emmanuelle Houle, Photos Josie Desmarais et collaboration spéciale

Elles sont DeuXX. DeuXX passionnées de cinéma. De cinéma de genre, surtout. DeuXX amies qui ont décidé d’offrir une nouvelle voix. Et d’en célébrer d’autres, des voix. Des voix féminines. Des voix différentes. Des voix, croient-elles, que l’on n’entend pas assez. DeuXX filles motivées souhaitant créer la discussion, s’épauler entre amoureux du 7e art. DeuXX pouces en l’air pour l’idée. Et pour sa réalisation.

Dara Moats et Marie-Laure Tittley se sont rencontrées il y a plusieurs années. Lorsqu’elles travaillaient à l’accueil des invités au festival Fantasia. Elles se sont d’abord découvert un intérêt commun pour les œuvres sortant du lot. Puis, pour la programmation. Pour ce boulot si merveilleux à leurs yeux (et pas qu’aux leurs) consistant à débusquer des films, à les replacer en contexte, à les présenter avec un but, une idée. «Pas juste à trouver un DVD et à peser sur play», comme s’amuse à dire Marie-Laure. À aller plus loin.

«On croit souvent que c’est facile de présenter des films. Mais la plupart du temps, c’est comme une chasse au trésor.» – Marie-Laure Tittley

Depuis cette époque, celle des balbutiements de leur amitié, cette dernière, formée en cinéma et en communications à l’UdeM, s’est notamment consacrée à ce travail qu’elle aime tant aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal où, jusqu’à il y a deux ans, elle était coordonnatrice de la programmation. Diplômée en cinéma de l’Université de Regina, Dara, elle, a signé des courts métrages, s’est attelée à son premier long à venir, a agi à titre de productrice associée. Notamment, en ce moment, pour un projet de docu expérimental de l’ONF. Reste qu’elle n’a jamais eu la chance de s’en occuper, de cette prog qui l’attire tant.

Mais DeuXX têtes valent mieux qu’une, dit-on. Et pourquoi ne pas se lancer? Ensemble, les copines s’y sont investies corps et âme. Se sont investies à trouver des films, des façons de les diffuser, de les partager. En juillet, elles ont organisé leur première projection dans l’antre de l’Eastern Bloc. Une inventive galerie d’art du Mile-Ex à laquelle elles se disent éternellement reconnaissantes.

Cette idée de présenter des films de réalisatrices, R-I-C-E-S, Marie-Laure concède qu’elle ne vient pas sans sa petite touche de «on préférerait ne pas avoir à le faire». «C’est plate qu’on ait à mettre l’accent là-dessus», résume-t-elle.

Elle ajoute savoir qu’il y a beaucoup de femmes, «qu’elles soient cinéastes ou productrices», qui ne sont pas à l’aise avec cette lumière faite sur leur genre. «Qui disent : je suis une artiste, ça finit là.» «Et je le comprends tout à fait», note-t-elle.

Elle note aussi : le nombre d’œuvres réalisées par des femmes comparativement à celles réalisées par des hommes est un sujet souvent abordé. Et débattu. C’est pourquoi Dara et Marie-Laure insistent : pour elles, il s’agit d’une ligne directrice globale. Mais l’essence de leur vision réside ailleurs. «Notre programmation possède une personnalité propre qui va au-delà du “film de femmes”.»

«Quand on voit les réactions du public au cinéma du genre, c’est véritablement excitant. Il y a de quoi avoir la piqûre de la programmation.» – Dara Moats

Ainsi, mis à part la question de la réalisation, Marie-Laure avance qu’il y a «une inégalité sur le plan de la programmation». «On trouve beaucoup plus de programmateurs que de programmatrices», estime-t-elle, avant de remarquer qu’au fond, le problème tire peut-être sa source du fait que beaucoup de gens ne savent pas en quoi consiste exactement ce métier. «Je pense que la meilleure façon de l’expliquer, c’est de comparer le poste de programmateur à celui d’un commissaire dans un musée. C’est quelqu’un qui sélectionne des œuvres. Mais dans un cinéma.»

Elle précise également : il ne s’agit pas juste de choisir un titre, d’en obtenir la copie, puis de la présenter, tadam. «Il y a tout un travail de contextualisation. Il faut créer une discussion autour de ces œuvres, faire avancer la forme d’art.»

C’est pourquoi, une fois par mois, elles DeuXX présenteront des films rétro ou récents à l’Eastern Bloc. Néanmoins, en ce septembre de rentrée où la galerie sera occupée par son chouette festival Sight + Sound, les deux comparses ont eu, top coïncidence, carte blanche au cinéma du Parc. Dans le cadre de la programmation de minuit (présentée à 23 h 30). «Oh yes!» résume MLT. Investies de cette mission, Dara et elle ont proposé de projeter Always Shine, de Sophia Takal. Ou, comme le qualifie Marie-Laure, un de ses «films préférés l’an dernier, qui s’inspire à la fois de Persona de Bergman et de Mulholland Dr. de Lynch». Pas pire.

Le propos? Deux apparemment meilleures amies. Toutes deux actrices. L’une qui «sait ce qu’il faut faire pour plaire et vivre de son métier». L’autre qui constate que «sa féminité, sa façon d’être l’empêchent d’avancer dans ce milieu où on veut que les femmes soient d’une certaine façon, qu’elles entrent dans un moule, qu’elles ne soient pas difficiles». Face à face dans un chalet de Big Sur, sur la cote Ouest des États-Unis, les tensions, la jalousie, l’envie n’en seront qu’exacerbées.

Anecdote d’ordre «local» : Mackenzie Davis, excellente actrice ayant étudié à McGill, qui fera partie du Blade Runner de Denis Villeneuve, incarne ici une des actrices, justement. Celle qui ne réussit guère dans le domaine, puisqu’elle refuse de se plier aux règles du jeu. Être gentille? Polie? Obéissante? Se montrer éternellement impuissante? Très peu pour elle.

Aparté : pour ce film atmosphérique, à la photographie hautement esthétique, la réalisatrice semble s’être visiblement inspirée de faits vécus. On sent qu’on est dans le réel. Même si parfois le réel peut sembler absurde, remarque Marie-Laure, accompagnant sa remarque d’un glauque exemple. «Récemment, je travaillais avec un ami qui passait des auditions pour son film. Une actrice montréalaise, qui arrivait de L.A., nous racontait qu’un agent sur place lui avait carrément dit : je peux t’aider. Mais c’est donnant donnant.»

«Ça se passe vraiment, ça se passe encore. Et les gens ne s’en cachent pas», se désole-t-elle.

Souhaitant changer les choses, Marie-Laure et Dara insistent sur la nécessité de s’épauler. Avec DeuXX, elles souhaitent tendre la main. À cette amie qui vient de fonder le Festival de films féministes. Au Cinéclub Film Society, dirigé par Philippe Spurrell, qui, depuis 1992, présente des films en pellicule. Et avec lequel les DeuXX filles coprésenteront, le 24 septembre à Concordia, American Psycho. Une adaptation du roman-culte de Bret Easton Ellis. Mise en scène (on tend à l’oublier, concède Dara) par la cinéaste canadienne Mary Harron. «Le livre a été très critiqué pour sa misogynie, pour sa brutalité, rappelle-t-elle. Pourtant, la plupart des actes sont suggérés. On croit souvent que c’est un récit violent. Mais la réalisatrice l’a mené ailleurs.»

Avec leur projet, Dara et Marie-Laure aussi désirent aller ailleurs. «Montréal n’est pas la ville la plus cinéphile du monde, tranche cette dernière. C’est quand même difficile de faire sortir les gens de chez eux. Si on s’entraide et qu’on crée une atmosphère particulière et décontractée, les gens prendront l’habitude d’aller davantage au cinéma.»

Infos
Always Shine à Minuit au Parc, coprésenté par DeuXX
Vendredi et samedi à 23 h 30 et dimanche à 14 h 30

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