Le Burkina cède des pans entiers de son territoire aux jihadistes
Le Burkina, longtemps préservé, est entré dans un cycle de violence jihadiste qui s’accélère avec des attaques incessantes et des zones d’insécurité de plus en plus grandes.
Le Burkina «est en train de perdre le Nord, dans les deux sens du terme», estimait une source occidentale dès le mois d’août. Elle pourrait désormais ajouter l’Est. Attaques, enlèvements, explosions… Il ne se passe plus une semaine sans que les jihadistes ne fassent parler la poudre.
Mercredi, 8 soldats ont perdu la vie en sautant sur un engin explosif artisanal (IED) dans le nord près de Djibo. Dimanche, trois gendarmes avaient été tués après le rapt d’un Indien, un Sud-Africain et d’un Burkinabè travaillant dans les mines d’or.
Une double attaque dans des villages avait fait 9 morts dans l’Est le 15 septembre et la nouvelle explosion d’un IED en coûté la vie à deux soldats le 5. Le mois d’août avait déjà été sanglant avec 13 personnes tuées par l’explosion de deux IED ainsi que la mort d’un douanier dans une attaque.
L’armée a perdu pied, incapable d’enrayer la spirale malgré des déclarations volontaristes mais sans effet du président Roch Marc Christian Kaboré. La France, l’ancienne puissance coloniale de ce pays très pauvre, est très inquiète. «Jusqu’à la fin de Blaise Compaoré (président de 1987 à 2014, renversé par la rue) il y avait une garde présidentielle qui était la force armée principale, qui était entièrement dévouée à Compaoré et que Kaboré a sabordé complètement», souligne un haut responsable français.
«Derrière ça, il n’y avait quasiment rien, pas de culture militaire alternative. Il faut qu’ils constituent une armée digne de ce nom et cela prend du temps», ajoute cette source. En plus de l’armée, Compaoré avait mis en place des réseaux qui étaient en relation avec les groupes jihadistes, ce qui a pu aider à préserver le pays, selon des sources sécuritaires concordantes.
«La situation s’est détériorée lentement. On a fonctionné dans une logique de déni. Comme si cela n’existait pas», estime Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute, qui souligne aussi que «l’instabilité politique» entre 2014-2015 (gouvernement de transition) n’a pas aidé alors que le pays avait à cette époque «largement le temps de développer une politique de prévention de l’extrémisme».
Le chercheur souligne «l’absence d’État», très peu actif dans le Nord et l’Est qui ne bénéficient que de peu d’infrastructures et services publics, une situation «toujours profitable aux groupes extrémistes». Les groupes jihadistes l’ont très bien compris.
«Faire fuir l’État fait partie de la stratégie pour que les populations adhèrent. Les populations n’adhèrent pas forcément au niveau idéologique mais elles ont un besoin de protection. Or, c’est un désert sécuritaire», explique M. Sambe.
Les jihadistes ont attaqué des gendarmeries isolées mais aussi des écoles ou des chefs religieux pour fragiliser l’État, tout en prêchant un «islam véritable».
À l’image d’Ibrahim Malam Dicko, chef jihadiste burkinabè probablement mort en mai 2017 après une opération française, qui avait su s’attirer des sympathies locales auprès des populations les plus démunies.
Les groupes jihadistes se sont aussi adaptés à la surveillance et aux écoutes: «Il n’y a plus la logique de coordination des groupes, plus de commandement centralisé. Il y a une multiplication des fronts […]. Ils ont pour objectif la création de zones d’instabilité», précise M. Sambé.
L’armée n’occupe plus le terrain et cela facilite d’autant plus la pose d’IED. Rendant encore plus difficile les déplacements de soldats. Un cercle vicieux sans fin. «Les IED vont se généraliser. Malheureusement ca va continuer et ne s’arrêtera plus. C’est facile à faire avec un peu d’explosif et des connaissances vues sur internet. Et, ils peuvent les poser à volonté!», souligne un ancien militaire français, qui prend l’exemple de l’Irak où les engins ont tué plus de soldats américains que les combats.
«Le Burkina est certainement un sujet de préoccupation. C’est une menace à extension régionale, avec des groupes qui franchissent les frontières et vont vers les régions de moindre pression sécuritaire», estime une source proche du gouvernement français.
Pour Bakary Sambé, après le Nord, «si l’Est est pris, il y a le risque de débordement vers des pays qui étaient très éloignés de l’épicentre du jihadisme comme le Ghana ou la Côte d’Ivoire». «Le Burkina constitue un verrou entre le Sahel et les pays côtiers, dans la lutte contre le terrorisme, s’il saute ces voisins seront atteints» a averti le ministre burkinabè des Affaires étrangères, Alpha Barry.