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Évictions en série dans un immeuble du Mile End

Photo: Google street view

Dans un immeuble du Mile End, des locataires se plaignent d’évictions en série qui auraient lieu depuis le début de la pandémie. Métro a pu parler avec sept anciens et actuels locataires de l’immeuble.

Des serrures changées et des évictions fréquentes

«Tout l’immeuble est inquiet. On voit plein de choses qui arrivent de manière très régulière», explique Émilie, une des locataires.

«Je ne veux pas rentrer chez moi et voir que la serrure a été changée», dit Josie, une des locataires, en expliquant pourquoi elle a demandé l’anonymat.

Sans se connaître, tout le monde raconte la même histoire.

Émilie, une des locataires

C’est ce que Raphaëlle dit avoir vécu. Depuis l’été 2021, elle occupait un logement dans l’immeuble. Selon elle, des problèmes d’insalubrité ont persisté pendant plusieurs mois.

Elle a décidé de quitter pour un mois son logement, en y laissant ses biens à l’intérieur, car les morsures répétées de punaises de lit nuisaient à sa santé mentale.

Lors de son absence, en décembre, Raphaëlle aurait envoyé un courriel au propriétaire pour l’informer de son désir de quitter le logement à la fin du mois à cause de son insalubrité et pour parler du loyer.

«Quelques jours après ce courriel, mon amie est allée arroser mes plantes et la serrure avait été changée», explique-t-elle. Son amie aurait ensuite interpellé un homme chargé de la maintenance de l’immeuble présent sur les lieux.

«Il lui a répondu: “Mon patron m’a demandé de changer la serrure la semaine dernière”», ajoute-t-elle. «Il n’y a plus rien dedans; nous avons sorti toutes ses affaires», aurait ajouté l’homme, selon Raphaëlle.

Des étrangers dans ma maison qui manipulent toutes mes affaires, c’est tout simplement traumatisant.

Raphaëlle

Ses biens auraient été entassés dans le sous-sol de l’immeuble et dans le bureau du propriétaire à l’intérieur de sacs de poubelle.

Une annonce de location aurait été publiée sur Facebook le 4 décembre, soit deux jours après l’envoi de son courriel, avec des photos de son appartement montrant ses biens à l’intérieur. Un nouveau locataire aurait emménagé dans les lieux depuis.

«En vertu de la loi, aucune serrure ou autre mécanisme restreignant l’accès à un logement ne peut être posé ou changé sans le consentement du locateur et du locataire», explique le responsable des communications du Tribunal administratif du logement (TAL), Denis Miron.

Plusieurs évictions recensées

Selon l’enquête menée par Métro, le propriétaire, Uzi Witkowski, a effectué 11 demandes de résiliation de bail et d’expulsion auprès du TAL et de la Régie du logement depuis janvier 2020. Sur ces 11 demandes, six ont abouti à l’expulsion des locataires. Le motif récurrent amené par le propriétaire serait un retard ou un non-paiement du loyer.

Le 16 décembre dernier, un des locataires a gagné son jugement face au propriétaire. Son avocat, Me Yorrick Bouyela, nous a raconté la situation de son client.

Une demande de résiliation de bail et d’expulsion de son client avait été déposée par le propriétaire en octobre 2021, qui expliquait que le locataire n’avait pas payé la somme de 3740 $. Cette somme représentait la différence entre la prétendue augmentation de loyer et les 510 $ payés mensuellement par le locataire au cours des 11 derniers mois.

Selon la décision rendue par le TAL, le propriétaire a présenté un avis d’augmentation du loyer qui datait du 30 septembre 2020 et qui mentionnait une augmentation de 350 $. Le propriétaire a ensuite expliqué que le locataire avait reçu cet avis en présentant un accusé de réception avec la signature de ce dernier dessus.

Un premier élément a éveillé la curiosité de l’avocat. Son client reçoit une allocation provinciale de 510 $ pour son logement. Cette dernière est déterminée sur la base de son loyer mensuel.

«Pourquoi mon client aurait été dire au gouvernement provincial que son loyer est de 510 $ alors que le propriétaire dit que c’était 850 $? se demande Me Bouyela. On n’a vraiment aucune preuve que l’accusé de réception est indicatif de l’avis d’augmentation de loyer et le tribunal a vraiment compris ça et a commencé à s’interroger.»

Le jugement explique que le propriétaire avait produit deux documents: un avis d’augmentation du loyer de 350$ et un avis de réception du document avec la mention «Veuillez signer pour indiquer que vous avez reçu un avis de location pour janvier 2021». Ce document présentait la signature de son client qui datait du 30 septembre 2020.

«On est un an plus tard et il sort les documents là», dit-il.

Le client est une personne vulnérable. Je pense que le propriétaire a joué sur ça et le tribunal a vraiment vu juste par rapport à ça.

Me Bouyela

De plus, le propriétaire donnait au locataire des reçus à la suite du paiement du loyer de 510$. Selon l’avocat, sur le reçu du mois de novembre était mentionné «balance owing», soit «montant dû».

«Si mon client devait tout ce montant-là, pourquoi déposer la demande en octobre et pas au mois de février 2021, pourquoi attendre tous ces mois?», s’interroge Me Bouleya.

À la rue en une fraction de seconde

Selon certains locataires témoins, au cours du mois de décembre, un couple de jeunes locataires aurait été évincé de son logement dans cet immeuble du Mile End sans aucun avis d’éviction préalable.

Alors qu’ils étaient chez eux, des huissiers accompagnés de déménageurs les auraient évincés, saisissant une grande partie de leurs biens et les laissant sur le trottoir enneigé sans vêtements d’hiver et avec leurs souliers d’intérieur.

Des voisins seraient intervenus en leur donnant une paire de chaussures et un manteau. Selon des témoins, le couple de jeunes aurait par la suite été dirigé dans un refuge pour sans-abris.

Des victimes d’un système juridique qui n’a pas le temps

Pour Me Bouyela, les locataires subissant une éviction sont souvent victimes du peu de temps qui est accordé à leur dossier par le TAL et par le manque de ressources mis à leur disposition.

«En droit du logement, toute la pierre angulaire, c’est le droit au maintien du locataire dans les lieux», explique l’avocat.

Les locataires de l’immeuble ont averti l’arrondissement de la situation.

«Il est temps de mettre fin à ces stratagèmes abusifs ciblant les locataires montréalais», a déclaré la conseillère du District du Mile-End, Marie Sterlin, au sujet des évictions.

Ce qu’on nous rapporte aujourd’hui nous indigne au plus haut point.

Marie Sterlin, conseillère du District du Mile-End

«En arrondissement, bien que nos pouvoirs soient limités et que ce genre de cas relève du Tribunal administratif du logement, nous sommes sensibles à la situation et utilisons tous les leviers à notre disposition afin de contrer ce genre d’incident», ajoute-t-elle.

À plusieurs reprises, Métro a tenté de rejoindre le propriétaire Uzi Witkowski, mais sans succès.

Par peur de représailles, l’ensemble des locataires a requis l’anonymat; les noms utilisés sont fictifs.

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