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Avait-on oublié que la mort est une fatalité?

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Photo: melitas/Istock

Selon le directeur national de santé publique du Québec, Luc Boileau, les prochaines semaines seront charnières en ce qui concerne l’évolution de la pandémie à laquelle le monde fait face depuis deux ans. Avec la levée des mesures sanitaires, de plus en plus de voix proclament qu’il faut désormais apprendre à vivre avec le virus, ce qui veut aussi dire de vivre avec les morts qu’il entraînera… Sommes-nous prêts à accepter ça?


Christian J. Y. Bergeron, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa

ANALYSE – La pandémie de Covid-19 nous ramène à un fondement de la vie, à savoir une prise de conscience collective de notre finitude.

Le virus a provoqué directement ou indirectement la mort de plus de 13 000 Québécois. Le tiers de ces décès, 4 713 sont survenus uniquement durant la période de mars à mai 2020. Plus de 82 % étaient des aînés.

Cet électrochoc a bouleversé notre rapport à la mort et aux conditions de vie des aînés.

Les citoyens ont globalement respecté les contraintes sanitaires (couvre-feu, rassemblements interdits, déplacements limités, télétravail, etc.) ainsi que les mesures sanitaires (masques, lavage des mains, respect de la distanciation physique, etc.). La participation vaccinale est par ailleurs très élevée au Québec (90 % adéquatement vaccinée, population âgée de 12 ans et plus).

Lors du point de presse du 25 janvier, un journaliste demande en anglais au premier ministre : qu’est-ce que veut dire « vivre avec la pandémie » au Québec ? François Legault affirme sans ambages que « nous devons accepter d’avoir peut-être plus de morts ». Cela semble être un tournant dans la manière de gérer la pandémie et sans le dire directement, François Legault nous invite à accepter la mort. C’est la tendance chez certains dirigeants occidentaux qui appellent à « vivre avec le virus ».

Les discours « alarmistes », « rassuristes » ou « enfermistes » que nous entendons depuis le début de la pandémie sont devenus, avec l’usure du temps, contradictoires et inaudibles. Comme sociologue, cette pandémie m’amène à réfléchir sur le sens que nous accordons à la mort, et ce, dans un contexte où les rapports sociaux entre les générations sont de plus en plus tendus. Nous avons tendance malheureusement à opposer la santé des uns avec celle des autres.

La mort occultée

Selon le sociologue allemand Norbert Elias, les individus vivent une forme de déni de la mort, en raison du progrès des sciences médicales, de l’allongement de l’espérance de vie et de l’accroissement relativement élevé de la sécurité, de la pacification des sociétés occidentales.

Nous sommes ainsi moins confrontés à la mort en comparaison aux générations précédentes. Ajoutons à ces explications le recul du sacré dans la société et la possibilité de choisir le moment de notre mort (grâce à l’aide médicale à mourir ou au suicide assisté). La société permet dorénavant de contrôler la vie, mais nous avons perdu l’horizon que la mort peut-être brusque et involontaire de notre volonté.

Pourtant, selon un autre sociologue allemand, Georg Simmel, « il existe dans toute notre réalité vivante quelque chose dont notre mort ne sera que la phase ou la révélation ultime : dès notre naissance, nous sommes des êtres destinés à mourir ».

Une société vieillissante

Il est apparu très rapidement, dès les débuts de la pandémie, que la Covid-19 s’attaquait mortellement aux personnes âgées. Or, la population vieillit très rapidement au Québec, avec un âge médian désormais de 42,7 ans, contre 34 ans en 1991 et 25,6 ans en 1971, selon l’Institut de la statistique du Québec. Les personnes âgées de 65 ans ou plus représentaient près de 1 personne sur 5 (19,7 %) en 2020.

À ce vieillissement s’ajoute une capacité hospitalière très réduite, parmi les plus faibles des pays de l’OCDE. Le réseau de la santé est au bord de l’implosion. Le vieillissement de la population exerçait déjà une pression sur le réseau de la santé, mais la pandémie est venue l’achever, en quelque sorte.

Nous avons tous des seuils différents d’acceptabilité du risque pour nous-mêmes ainsi que pour nos proches. Nous prenons nos précautions sanitaires selon ce seuil. En d’autres mots, nous avons des réactions émotionnelles différentes (peur, anxiété, inquiétude, indifférence, paix) quant à la probabilité d’attraper le virus (évaluation du risque selon nos caractéristiques individuelles) et nous adoptons nos comportements. Sur ce continuum, peur-évaluation-comportement, certains jugent que les contraintes sanitaires sont exagérées, alors que d’autres en réclament davantage pour accroître leur sentiment de sécurité et ainsi réduire leur peur de mourir.

Depuis l’apparition du variant Omicron au Québec, nous observons cependant un certain ras-le-bol de la population face aux mesures sanitaires. Omicron est moins mortel que les précédents variants, même s’il s’avère extrêmement contagieux. En fait, la peur de mourir s’étant estompée, la tolérance envers les contraintes sanitaires a aussi diminué.

Les vaccinés plus craintifs?

Selon un récent sondage du National Tracking Poll du 14 et 15 janvier 2022, plus de 56 % des individus non-vaccinés disent ne pas avoir peur d’attraper la Covid-19, tandis que les vaccinés (3 doses administrées) sont plus de 68 % à craindre d’attraper le virus. Il semble exister une différence notable dans l’évaluation du risque d’attraper le virus.

Même si la vaccination réduit considérablement les risques d’être sévèrement malades ou d’en mourir, elle ne semble pas rassurer les vaccinés ou convaincre les non-vaccinés d’avoir le vaccin (réaction émotionnelle différenciée). En fait, ces données montrent une grande déconnexion entre les peurs, les risques d’en mourir ou non et l’importance de la vaccination dans la lutte contre la Covid-19.

Des générations sacrifiées

Cette peur de mourir a conduit notre société à se recroqueviller sur elle-même et elle a demandé la même chose à sa jeunesse. Il serait peut-être temps de revoir notre «vivre-ensemble». La pandémie a provoqué de la détresse psychologique et de l’anxiété, tant chez les jeunes du secondaire que ceux du collégial ou de l’université. Comme le témoigne l’un d’entre eux dans une lettre ouverte, «à force de compromis pour protéger les autres, c’est moi qui suis devenu vulnérable, mentalement parlant. Je sens que je n’ai plus d’efforts à donner. Je suis au bout du rouleau».

Les aînés ont aussi souffert des confinements, des interdictions de visites dans les CHSLD, de la solitude et de l’anxiété. Des milliers sont morts sans être entourés de leurs proches. En outre, une grande majorité d’entre eux ont vécu un «déconditionnement», c’est-à-dire une détérioration de leur santé physique et mentale, sans oublier tous ceux qui ont vu reporter ou annuler des traitements médicaux.

La maîtrise des risques et leur gestion en période pandémique font ressortir à la surface de nos vies agitées la peur de la mort pour soi et nos proches. Selon l’écrivain et homme politique français, François-René de Chateaubriand, «l’Homme n’a qu’un mal réel: la crainte de la mort. Délivrez-le de cette crainte et vous le rendrez libre».

Sociologiquement, cette pandémie met à mal nos relations intergénérationnelles. Personne ne devrait choisir entre la préservation de la vie d’un aîné et le sacrifice de la santé mentale d’un jeune. Nous ne devrions pas les opposer. Au contraire, nous devons être capables collectivement de créer des liens sociaux sans sacrifier aucune génération.

Christian J. Y. Bergeron, Professeur en sociologie de l’éducation, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

La Conversation

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