Les droits LGBTQ2+ sont-ils menacés au Québec ?
Les droits des personnes LGBTQ2+ sont en recul à travers le monde. Qu’il s’agisse d’un effet de «backlash» face à de plus en plus de droits acquis ou d’une homophobie prenant de nouvelles formes, les communautés LGBTQ2+ se retrouvent au coeur d’une vague de haine qui, même si souvent virtuelle, se matérialise dans la vie réelle. Alors que plusieurs de nos voisins du sud sont en passe de devenir des chefs de file en matière de loi anti-trans, doit-on craindre que ce phénomène traverse la frontière?
Seulement en 2022, les législateurs américains ont proposé pas moins de 150 projets de loi visant les personnes trans, élevant le nombre total de lois visant les LGBTQ2+ à plus de 470 à travers le pays. Cette même année, une vingtaine d’États américains ont introduit des projets de loi de type «Don’t Say Gay or Trans», visant à restreindre les discussions autour de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre à l’école.
Au Québec, bien que la Charte des droits et libertés de la personne protège officiellement les droits LGBTQ2+, le climat d’adversité visant ces communautés inquiète les organismes visant à les protéger.
Du simple refus du hockeyeur Denis Gurianov de porter le chandail arc-en-ciel jusqu’aux manifestations anti-drag queens, en passant par les prises de position controversées du chef du Parti conservateur du Québec Éric Duhaime, la belle province n’est pas épargnée par cette vague de haine.
Ce qu’on voit aux États-Unis, il ne faut pas se leurrer, il ne faut pas croire que ce n’est que de l’autre côté de la frontière. On la voit, l’augmentation de l’homophobie et de la transphobie, qu’elle soit sur les réseaux sociaux ou dans la rue.
Florence Gallant-Chene, coprésidente du conseil d’administration du conseil québécois LGBT
Pour le directeur général de la Fondation Émergence, Laurent Breault, la «panique morale» qui entoure les drag queens est «très fortement liée» à l’homophobie et la transphobie. La pétition Drag Queen: Protégeons nos enfants!, lancée par Éric Duhaime, montre la proximité qui existe entre les idéologies québécoises et américaines à ce sujet.
«La pétition qui circule en ce moment contre les drag queens est très semblable dans son argumentaire à la panique morale liée à l’idée «d’exposer» les enfants à des personnes LGBTQ+ que l’on retrouve à chaque avancée pour les droits LGBTQ+, avance M. Breault. Les réactions qu’ont certaines personnes au Québec envers les drag queens sont assez ressemblantes à ce qui se passe dans certains états américains qui ont d’ailleurs interdit les drag queens.»
Selon Laurent Breault, l’argumentaire visant à protéger les enfants se retrouve fréquemment au coeur des mesures LGBTQphobes. «Cette crainte semble même parfois tomber dans une sorte de théorie du complot où l’objectif des personnes LGBTQ+ – ou, dans ce cas, des drag queens – est de «recruter» ou de «convertir» les jeunes, explique le directeur général de la fondation Émergence. Parfois, la recrudescence de l’homophobie et de la transphobie est une réaction à un changement de mœurs perçu comme trop rapide, ce qui laisse place à un discours de retour aux sources, de retour aux valeurs traditionnelles.»
Où est passé le ministère?
Laurent Breault se dit inquiet de voir la montée de l’homophobie et de la transphobie de notre côté de la frontière. Cette crainte est partagée par la coprésidente du conseil d’administration du conseil québécois LGBT, Florence Gallant Chenel, qui constate un écart entre l’adoption des lois et leur application par la société québécoise, alors que les discriminations sont bien présentes.
«Il y a une énorme différence entre la législation et l’état des faits, dit-elle. Ce n’est pas parce que les droits sont là qu’ils se réalisent dans la société. Donc, la discrimination, elle est là et la transphobie, elle est là. On l’a vu au travers de toute cette polémique concernant les drag queens.»
Florence Gallant Chenel constate qu’un an après son adoption, le projet de loi permettant la reconnaissance dans le Code civil des personnes non-binaires n’est toujours pas appliqué auprès de services gouvernementaux comme la RAMQ ou la SAAQ. «En ce moment, les personnes non-binaires n’ont pas accès à des pièces d’identité qui représentent leur identité, explique Laurence Gallant Chenel. Dans beaucoup de cas, elles ont deux pièces d’identité qui ne présentent même pas la même mention de genre, ce qui fait une incohérence sur leurs documents d’identité.»
Elle est aussi préoccupée par le retrait du titre de ministre responsable de la Lutte contre l’homophobie et de la transphobie par la Coalition Avenir Québec (CAQ) pour donner ce mandat à la ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron. Florence Gallant Chenel ne comprend pas pourquoi un tel titre, en vigueur depuis 2008, a été supprimé, alors que le gouvernement Legault est le plus important depuis celui du premier ministre Landry.
«Il faut s’inquiéter de cette montée-là [de l’homophobie et de la transphobie] et c’est pour ça que c’est encore plus important d’avoir des orientations gouvernementales claires et surtout, des actions concrètes qui sont posées», dit-elle, rappelant que le Conseil québécois LGBT a demandé le retour du titre auprès de la ministre Biron.
Le retrait du libellé de ministre délégué vient s’ajouter au retard de la ministre Biron à présenter le plan de lutte contre l’homophobie et la transphobie, alors que la dernière stratégie gouvernementale a pris fin le 31 mars dernier. «Pour nous, cette question du libellé, c’est essentiel qu’elle soit réglée avant le dépôt du plan de lutte, explique Florence Gallant Chenel. Ce n’est pas normal qu’un plan de lutte contre l’homophobie et la transphobie soit signé par la ministre à la Condition féminine.»
Le cabinet de la ministre Biron n’avait pas répondu aux questions posées par Métro au moment de publier cet article.