Logement : la course pour s’ôter du chemin
Depuis le début de la campagne, les deux principaux partis font du coude pour être vus comme LA meilleure option pour régler la crise du logement. C’était le cas hier encore. Les promesses pullulent, mais on note surtout une chose : une volonté de simplifier les règles et réduire les délais.
Parce que, soyons lucides, la meilleure chose qu’une ville peut faire pour s’attaquer à la crise du logement, c’est accélérer la construction. On construit environ 23 000 unités de logement par année à Montréal, alors qu’il en faudrait 72 000 pour retrouver les loyers de 2019.
Pour y arriver, il faut que la Ville s’enlève du chemin.
**Ce que je retiens des promesses**
La Ville peut aider au financement de projets spécifiques, mais le cash viendra principalement des gouvernements fédéral et provincial. Ce qui reste à faire du côté de Montréal, c’est d’enlever les embûches réglementaires.
Ce n’est pas simple à faire. Parce qu’il ne suffit pas de changer les règlements : il faut aussi que les fonctionnaires suivent la parade. Qu’ils deviennent des facilitateurs, des empêcheurs de tourner en rond.
Non pas qu’ils n’avaient pas à cœur le développement jusqu’ici, mais c’est trop facile de freiner un projet parce que l’architecture n’est pas préservée ou que le mauvais type de fenêtre est proposé. Sans parler des dérogations pour bâtir plus haut ou des changements de vocation.
Surtout avec huit ans au pouvoir d’un parti qui a bâti sa réputation sur des idées comme la célébration de la vie urbaine, le verdissement, l’amélioration des quartiers, la mobilité et la préservation du patrimoine. Tous des concepts merveilleux, mais qui ont la fâcheuse habitude d’installer un réflexe du «non» quand un gros bloc de logements est proposé.
Il ne faut pas se surprendre que les délais pour l’octroi des permis de construction ou de rénovation ont explosé sous la gouverne de Projet Montréal.
Le parti Ensemble Montréal a sauté sur l’occasion pour promettre une réduction des délais grâce à l’intelligence artificielle. On ne sait pas encore quelle solution sera envisagée, puisque leur plateforme n’a pas encore été diffusée et leurs annonces ont tendance à manquer de détails. Mais on nous promet de travailler avec le MILA.
Un renversement de situation?
Ce qui est le fun à voir dans cette élection, c’est la volonté clairement affichée des deux principaux partis pour renverser la situation.
Même chez Projet Montréal, le chef Luc Rabouin a déjà imposé une réduction des délais pour les projets «de plein droit». C’est-à-dire les projets pour lesquels la Ville n’a aucun véritable pouvoir pour empêcher les travaux. Ça devrait normalement être des projets qui sont approuvés en deux temps trois mouvements, mais des fois, les délais dans les permis c’est le seul levier qu’une administration peut utiliser pour demander au promoteur de faire des changements.
Ces projets doivent maintenant être approuvés en 120 jours. Ensemble Montréal promet 90 jours.
Projet Montréal veut aussi assouplir le règlement du «20-20-20» qui impose un minimum de logements familiaux, de logements abordables et de logements sociaux dans les projets immobiliers. Ensemble Montréal propose de le retirer.
J’en ai parlé à Danielle Pilette, professeure à l’École des sciences de la gestion de l’UQÀM. Elle souligne que, pour Projet Montréal, c’est un retour au sujet traditionnellement chéri par la gauche montréalaise.
«Le logement, ça a toujours été un bon sujet pour la gauche à Montréal. Dans les années 1980, le RCM sous Jean Doré, c’était ça», dit-elle.
L’accent plus marqué sur la mobilité et l’environnement sous Valérie Plante n’aura peut-être été qu’un interlude.
Du côté d’Ensemble Montréal, c’est un parti qui est traditionnellement beaucoup plus près des développeurs. Soraya Martinez Ferrada qualifie constamment la métropole de «trou de beigne», où les développeurs fuient le centre pour développer les banlieues.
Ensemble Montréal a d’ailleurs fait de nombreuses promesses visant à attirer les développeurs et accélérer la construction. On note des réductions de taxes et de frais municipaux pour le logement social et abordable, ainsi que des changements de zonage.
Elle souhaite aussi créer un «Fonds pour l’abordabilité» pour aider à financer des projets de logement hors marché. Ce que ça veut dire – ce que j’en comprends en tout cas en écoutant les différents débats – c’est qu’elle souhaite utiliser le pouvoir d’emprunt de la Ville pour aider à financer les projets de logements sociaux et abordables.
Dans un contexte où le fédéral a promis d’investir des milliards de dollars dans la construction de logements neufs, tout ça c’est plutôt prometteur.
Airbnb : la porte ouverte
Ce qui m’amène à parler d’Airbnb et autres plateformes du genre (comme Booking et Vrbo). Tout le monde aime critiquer Airbnb parce qu’une bonne partie des unités touristiques proposées sur cette plateforme auraient pu être des logements.
Il y a seulement quelques milliers d’unités qui sont réservés aux touristes – le site Inside Airbnb en dénombre environ 3400 – alors qu’il y a des centaines de milliers d’adresses à Montréal. Mais, dans un contexte de pénurie, ces quelques milliers de logements aideraient vachement les familles qui ont de la misère à se loger. Surtout s’ils se trouvent dans les logements les moins chers, où le taux d’inoccupation est d’un maigre 0,4%.
Un marché en équilibre a un taux d’inoccupation de 3% et la CMM vise 5% pour réduire la pression sur les loyers.
C’est là que l’impact se fait sentir. Et c’est pour ça que les différents partis cherchent à restreindre Airbnb.
Projet Montréal a resserré les règles en interdisant la location d’une résidence principale en-dehors de la période estivale. Ça permet à la Ville d’intervenir directement dès qu’une réservation est faite à l’hiver. Les unités commerciales enregistrées auprès de Revenu Québec – et qui paient donc les taxes applicables – ne sont pas touchées.
Ensemble Montréal souhaite carrément interdire les locations commerciales. Par contre, la location du domicile principal serait permise à l’année pour un maximum de 90 jours.
Luc Rabouin accuse Soraya Martinez Ferrada d’ainsi permettre la location commerciale par la porte d’en arrière. La Ville perdrait son principal outil d’intervention.
Danielle Pilette est d’accord. Pour elle, c’est un cadeau aux développeurs.
«La possibilité d’avoir du Airbnb, ça augmente la valeur foncière. C’est plus intéressant pour les développeurs. Mais c’est aussi plus intéressant pour la Ville, qui récolte plus de taxes», souligne-t-elle.
Ce que je retiens des deux plateformes
Parmi les différentes promesses, voici celles que je trouve les plus prometteuses. J’écarte les promesses concernant l’itinérance, j’en parlerai dans un autre texte.
Là où les partis se rejoignent :
- Des fonds pour financer les projets. Entre le « Fonds de l’abordabilité » d’Ensemble Montréal et le 100 M$ en garanties bancaires de Projet Montréal, la logique est la même et devrait débloquer du financement pour des projets.
- Des délais réduits pour les permis. Que ce soit 90 jours ou 120, l’important c’est que ça ne soit plus 369. Build baby, build comme disait l’autre au printemps.
- Bâtir sur ce qu’on a déjà. Ça simplifie drôlement les choses.
- Ensemble Montréal veut accélérer les projets dans les 80 bâtiments appartenant à la Ville.
- Projet Montréal a identifié 10 zones « prêtes à bâtir » où les projets de développement seront mis sur la voie rapide.
Avantage Projet Montréal :
- Convertir les espaces. Puisque les bureaux se vident au centre-ville, Projet Montréal souhaite convertir des bureaux en logements. Et des stationnements aussi.
Avantage Ensemble Montréal :
- Le retrait du 20-20-20. Quand le problème c’est le nombre de logements à construire, ce n’est pas le temps de mettre des contraintes qui diminueront la rentabilité des projets.
- Les incitatifs à la construction. Crédit de taxes foncières, exemption des frais municipaux, changements de zonage. Parce que le logement ne se réglera pas qu’avec le communautaire.