Du Cambodge au Québec: le monde est FONKi
Par Norman Rickert – camelot métro Outremont et Van Horne / Dollard
Mi-mars : il fait frette avec une température frisant les moins 25 degrés. Je me les gèle et je suis en route pour interviewer FONKi, cet artiste de rue du Cambodge vivant à Montréal depuis un bail. Il me reçoit à son appartement ensoleillé du quartier Hochelaga-Maisonneuve, qui fait aussi office de lieu de création. Fort attentionné, il m’offre un thé. Et me raconte son histoire.
FONKi a commencé à faire des graffitis à Montréal lorsqu’il était tout jeune, en allant peindre sous les ponts dans les endroits abandonnés.
L’artiste de rue a dû se chercher des contrats pour avoir de quoi payer ses premières bombes à aérosol, ses « cannettes ». Il a d’ailleurs réalisé ses premières murales au café étudiant et dans la cour de l’école secondaire où il étudiait.
Il a commencé à exercer son futur métier en multipliant les essais, et les erreurs : « J’avais assez de cannettes pour peindre dans des endroits abandonnés, mais au début, je ne commençais pas forcément avec des cannettes de bonne qualité, c’était surtout des produits industriels, tu te débrouilles avec les moyens du bord ».
À Pointe-Saint-Charles, quartier où je demeure, plusieurs endroits sont exclusivement dédiés aux graffitis et FONKi connait bien la murale sur la rue Grand Trunk. Les graffitis y brillent par leur caractère éphémère.
Pèlerinages inspirants au Cambodge
FONKi ressentait le profond besoin de retrouver ses sources. Il a alors entrepris un premier pèlerinage dans son pays d’origine, sujet du documentaire Retour aux sources. « Le peuple cambodgien s’est fait couper son arbre, mais les racines demeurent, d’où le titre du documentaire. »
Réalisé de 2012 à 2014, on y voit l’artiste en flashback sur une vidéo familiale en 1996 alors qu’il était garçon. Son grand-père, dont les cendres dorment aujourd’hui au fond du fleuve Mékong, raconte des scènes d’horreur suite à l’évacuation de milliers de personnes de la capitale, Phnom Penh. Pour faire une histoire courte, 1,7 millions de Cambodgiens ont été tués entre 1975 et 1979 durant le règne sanglant des Khmers Rouges du dictateur Pol Pot, condamnant la population à des camps de travail forcé.
Les œuvres d’art permises l’étaient pour de la propagande et 90 % des artistes et intellectuels ont été liquidés, reléguant à la mémoire la culture khmère autrefois florissante. La famille de FONKi décide de fuir le pays avant la que la ville de Phnom Penh tombe aux mains des Khmers Rouges en avril 1975 : « J’ai passé quatre ans et demi en France. J’ai de la famille là-bas, une partie de mes racines sont françaises. J’ai aussi grandi au Québec. Je suis un mélange d’un peu de tout. », raconte-t-il.
Cette histoire cambodgienne l’a fortement bouleversé et a influencé son parcours artistique.
Retour au Québec difficile
Le retour au Québec ne s’est pas fait aisément : « J’ai vécu un passage à vide en revenant à Montréal en 2012. Pendant un hiver, je ne peignais plus, je ne faisais plus rien, je vivais une grosse crise existentielle, je ne faisais rien que boire et faire la fête et ce n’est pas ça qui réglait les problèmes ».
FONKi constate qu’en revenant ici et en retrouvant son micro-habitat, que son pèlerinage artistique au Cambodge a changé sa vision du monde. Il stresse moins pour les tracas du quotidien, sans non plus être désillusionné par la vie. « Les Cambodgiens ont soif de tout savoir et de vivre puisqu’ils ont tellement perdu durant la dernière guerre civile, explique-t-il. Je reviens ici avec l’impression qu’on se complique la vie pour des riens, puisque tant que ça ne te touche pas, tu ne le vis pas. »
L’artiste, qui participera au festival MURAL du 9 au 19 juin, réalise que les gens de son pays natal vivent une certaine sérénité et simplicité, malgré la misère humaine omniprésente. En revanche, il est fasciné par une sorte de fragilité dans l’humanité typique au peuple cambodgien qu’il ne retrouve nulle part ailleurs. « Je constate que la pauvreté se retrouve partout dans le monde. Pour moi, il existe plusieurs types de misère. La pauvreté de l’amour est pire que la pauvreté matérielle, cette dernière étant plus présente ici au Québec. »
Second périple au Cambodge
Il a ensuite effectué un second périple. La websérie documentaire FONKi World, en ligne sur la Fabrique culturelle jusqu’au 22 mai, nous montre comment ces deuxièmes retrouvailles ont été pour lui un élément profond d’inspiration.
Le premier graff dans son pays natal, il le fera à Phnom Penh, dans un bidonville près du Palais des Nations.
Dans le premier épisode de la websérie, on voit FONKi réaliser de nombreuses murales de sourires. Elles m’ont fait penser à mon poème Sourires Rice Crispies, paru dans L’Itinéraire, qui critique les sourires de convenance des passants. Les Cambodgiens et les Québécois ont-ils des similarités à ce niveau-là ?
FONKi m’explique que ces sourires qu’il a peints, et qui constituent la marque de commerce du Cambodge, ne sont pas sincères. Le sourire, c’est un peu pour eux comme une façon de se défendre.
À la manière d’un tagueur, il les a peints de manière répétitive. On les retrouve partout dans les temples millénaires, en les reproduisant comme un tag, comme une signature. « Plutôt que de réaliser une pièce élaborée, j’ai réinventé mon langage en peignant des sourires sans yeux. Il y a une forme de puissance là-dedans », ajoute-t-il.
L’artiste voit la vie davantage avec les yeux d’un philosophe depuis ses voyages dans le pays de ses ancêtres en réalisant que notre époque en est une où les frontières se brisent et que la misère de l’autre aura des répercussions encore plus directes à l’autre bout de la monde. « On peut parler des Syriens, par exemple. On ne peut plus dire comme avant : « Ah, ça ne touche que la Syrie ». On doit prendre conscience qu’on est tous dans le même bateau. »
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FONKi World
Cambodge / Vietnam / Canada, 2016, 7 épisodes
Genre : Websérie documentaire
Producteurs : Thomas Szacka-Marier et Claude Bastien
Réalisateur : Thomas Szacka-Marier
Photographie : Jean-Sebastien Francoeur et Andrew Marchand-Boddy
FONKi World est disponible en ligne sur la Fabrique culturelle jusqu’au 22 mai.
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Ce texte figure dans l’édition du 1er mai de L’Itinéraire.
À lire dans cette édition :
- Les mille visages de Montréal. Un portrait de l’interculturalité au Québec.
- Une entrevue avec le chanteur de reggae Tiken Jah Fakoly, celui qui tente d’éveiller les consciences par la musique.
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