Nationalisme bouddhiste au Myanmar
Aung San Suu Kyi a été lauréate du prix Nobel de la paix en 1991. Devenue célèbre pour sa résilience et sa promotion de la non-violence, elle a été retenue prisonnière dans son domicile pendant 15 ans, par l’armée birmane, qui dirigeait alors le pays. La chanson Walk On, du célèbre groupe britannique U2, lui a été dédiée.
Aujourd’hui, la septuagénaire siège à plusieurs ministères birmans ainsi que comme conseillère d’État. En raison de la nationalité étrangère de feu son mari et de leurs enfants, la constitution birmane ne lui permet pas d’être présidente. L’investiture officielle de Htin Kyaw comme président n’empêche toutefois pas Suu Kyi de diriger de facto le pays et de susciter l’admiration.
Pourtant, à Ottawa ce mois-ci pour rencontrer Justin Trudeau, elle n’a pas reçu d’éloges de l’organisation Human Rights Watch ni des réfugiés birmans au Canada.
Ils ont plutôt demandé à Trudeau de faire pression sur Suu Kyi pour qu’une enquête indépendante soit menée au Myanmar, ironiquement, à propos des d’accusations de crimes contre l’humanité. Accusations étayées par plusieurs rapports de l’ONU depuis 2012. Le Myanmar serait le théâtre d’un «nettoyage ethnique» visant les Rohingyas, une communauté musulmane concentrée dans l’ouest du pays.
Que se passe-t-il au Myanmar?
Le pays est limitrophe de l’Inde, de la Chine, de la Thaïlande, du Laos et du Bangladesh, et abrite 54 millions de personnes appartenant à 135 communautés ethniques. Mine d’or archéologique, berceau d’anciennes civilisations, le Myanmar, autrefois appelé Birmanie, n’a pas connu beaucoup de périodes d’accalmie. Il s’est libéré de l’emprise de l’Inde, puis de celle du Royaume-Uni, puis d’une dictature militaire, le tout dans un climat de tensions internationales et de luttes intestines.
Les Rohingyas représentent 4% de la population birmane, majoritairement bouddhiste. La présence des Rohingyas remonte au XIe siècle, mais leur afflux en provenance du Bangladesh pendant la guerre a alimenté le nationalisme bouddhiste dans les années 1970. Les Rohingyas se voient depuis refuser la citoyenneté et la reconnaissance de leur communauté dans le recensement officiel. La Banque mondiale rapporte que 78% d’entre eux vivent dans la pauvreté.
En octobre dernier, ils étaient 65 000 de plus à avoir fui vers le Bangladesh, même si ce pays ne leur reconnaît pas de statut de réfugié. Les exilés ont rapporté à l’ONU que des opérations meurtrières étaient perpétrées par les autorités officielles – l’armée, la police et les gardes frontaliers – pour des motifs ethniques.
D’une part, les Rohingyas se butent à des frontières closes et à la mauvaise presse dont fait l’objet l’islam actuellement. De l’autre, leurs assaillants présumés bénéficient du préjugé favorable qui lie bouddhisme et pacifisme. Ces amalgames simplistes, additionnés à l’interdiction d’accès aux médias dans l’État du Rakhine, maintiennent la lutte des Rohingyas dans l’ombre.
Une enquête interne menée l’automne dernier conclut, sans surprise, que toutes les accusations portées contre l’armée sont fabriquées ou non fondées. Toutefois, au grand dam des autorités, des rescapés ont documenté leur exode sur leurs téléphones intelligents et continuent, de concert avec l’ONU, à réclamer la tenue d’une enquête indépendante.