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Les deux solitudes

Il y a quelques années, j’assistais à un gala dans un hôtel de Toronto, une cérémonie pendant laquelle on remettait des prix pour féliciter les artisans de l’industrie de l’édition canadienne. C’était une remise de prix comme on en voit partout dans le monde: une succession insupportable de tapes dans le dos, de discours creux, d’applaudissements obligatoires, le tout entrecoupé d’amuse-gueules desséchés et de vin aussi infect que local. La salle était composée d’éditeurs, d’auteurs et de personnalités publiques venus de toutes les provinces, avec une surreprésentation des grandes villes où se concentre l’industrie: Toronto, Vancouver, Mont­réal. Il y avait peut-être trois anglophones pour un francophone, et chaque catégorie était divisée par langue.

Vers la fin du gala, on remit un prix de type «Life Achievement Award» à quelqu’un du Canada anglais pour souligner l’ensemble de sa carrière. Une succession de présentateurs vinrent rendre hommage à une dame, relatant ses accomplissements de manière dithyrambique. À la fin de cette longue présentation, on aida une dame très âgée à monter sur la scène. En voyant qu’elle était présente parmi eux, les anglophones, émus, fondirent presque tous en larmes. D’un bond, ils furent debout pour une ovation bien sentie qui dura et dura encore.

Pendant ce temps, les Québécois, nous nous échangions de longs regards en forme de points d’interrogation, sans trop savoir quoi faire. Nous étions bien sûr nous aussi debout à applaudir, par politesse. Mais la réalité, c’était qu’aucun de nous ne savait qui était cette personne! Cette légende, cette idole, qui portait nos amis anglophones aux plus grandes effusions, nous était parfaitement inconnue. C’était un peu comme si Jeannette Bertrand (ou Janine Sutto) était honorée et que les gens de Vancouver se demandaient: «Who the f*** is this person?»

Bref, le Canada est un bien curieux pays. Au-delà de nos préférences constitutionnelles personnelles – si le Québec doit devenir indépendant, s’il doit avoir un statut particulier au sein de la fédération, s’il doit être une province comme les autres, ou l’une ou l’autre des combinaisons possibles, –, reste que le Canada est une chose bizarre attachée un peu tout croche, un genre de radeau construit à la va-vite par des gens qui ne s’y connaissaient pas beaucoup en embarcation nautique.

Érigé sur une histoire sanglante (les histoires nationales le sont toutes) faite de tentatives répétées d’épuration ethnique – des peuples autochtones d’abord, et des Canadiens-Français ensuite –, de vols éhontés de ressources naturelles, de copinage, de magouillage, de népotisme et de passe-droits, le Canada est loin du pays accueillant, inoffensif et sympathique que le sourire de son premier ministre actuel essaie de vendre.
Il m’a toujours semblé curieux que la Fête nationale du Québec et celle du Canada tombent précisément à une semaine d’intervalle. C’est peut-être dans cet écart que réside le gouffre entre nos deux solitudes. Une semaine, c’est peut-être le plus près que nous pouvions espérer aller, qui sait?

Et l’ironie de l’histoire, c’est de constater que pendant cette semaine, du 24 juin au 1er juillet, que font la plupart des Québécois?

Ils se préparent à déménager.

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