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L’autre privilège

On a beaucoup parlé de privilèges ces derniers temps. Des privilèges associés à la couleur de la peau, au sexe, à la situation économique, etc. Il est indubitable – et le contester en pleurnichant ne sert à rien – que ces privilèges existent, au Québec et ailleurs. Ceux-ci s’ajoutent à plusieurs autres «accidents de naissance» qui ne s’expliquent que par la chance: de ne pas être né avec un handicap lourd, d’être né et de vivre au Québec, une région du monde ayant un bon filet social, un excellent système de santé et un niveau de vie élevé, etc.

Mais dans tout ce débat, l’un des nos plus grands privilèges est presque passé inaperçu : celui d’être né à cette époque plutôt qu’à n’importe quelle autre dans l’histoire de l’humanité. Certes, je suis privilégié d’être un homme blanc né à Montréal et ayant grandi dans une famille de la classe moyenne qui ne manquait de rien. Mais je suis encore plus privilégié d’être né dans le Montréal des années 1970 plutôt que, disons, dans celui de la fin du XIXe siècle.

Bizarrement, la vaste majorité des gens pensent que le «bon vieux temps» est derrière nous et que la société ne s’est jamais aussi mal portée. La glorification du passé, aussi appelée «déclinisme», est un phénomène étudié de près par les psychologues, qui tentent de comprendre pourquoi, par exemple, dans une étude de 2015 menée au Royaume-Uni, 71% des répondants pensent que la situation du monde va en s’empirant et seulement 5% des gens estiment que les choses s’améliorent. Ce sont des résultats frappants qu’on retrouve dans la plupart des sondages d’opinion.

Or, les faits objectifs pointent dans la direction opposée, peu importe par quel critère on analyse la situation. Prenons la mortalité infantile : selon l’Union médicale du Canada, en 1900, 27% des bébés nés à Montréal n’ont pas survécu à leur première année. 27%, c’est 275 enfants pour 1000 naissances! À titre de comparaison, en 2017, ce taux de mortalité infantile était de moins de 0,5%, ou 5 enfants pour
1000 naissances.

On peut aussi regarder la situation mondiale dans son ensemble. Selon Steven Pinker (dont le livre de 2011 The Better Angels of Our Nature est un incontournable sur ce sujet), en 2015, 10% de la population mondiale vivait sous le seuil d’extrême pauvreté (moins de 1,90 $US/jour). Au tournant des années 1990, c’était 37% de la population qui vivait sous ce seuil. Autrement dit, de 2 milliards de personnes il y a 30 ans, nous sommes passés à 705 millions en 2015. Pour aider à visualiser ce progrès, disons que, tous les jours depuis 25 ans, plus de 135 000 personnes sont sorties de l’extrême pauvreté!

La situation est évidemment loin d’être parfaite et il reste énormément de travail à accomplir, notamment en raison des changements climatiques. Mais il est indubitable que l’humanité a fait un progrès remarquable, un progrès souvent masqué par l’incessant tapage médiatique dont le modèle d’affaires exige exagération et catastrophisme. Alors, par respect pour tous ces gens qui sont venus avant nous et pour honorer la mémoire de ceux et celles qui ont souffert dans le passé, il importe aussi de prendre conscience de cet autre privilège.

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