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Duhaime et les contradictions du Parti conservateur sur l’échiquier nationaliste

Anne Casabonne et Éric Duhaime
Anne Casabonne et Éric Duhaime Photo: Photo tirée de Facebook
Frédérick Guillaume Dufour (UQAM) et François Tanguay (UDM) - La Conversation

ANALYSE – Des élections générales se tiendront au Québec le 3 octobre prochain. La campagne électorale sera le moment de mesurer les clivages politiques sur la question nationale. Ce sera aussi l’occasion de voir comment le Parti conservateur du Québec (PCQ) de Éric Duhaime tente de se positionner sur cette question.


Par: Frédérick Guillaume Dufour, (UQAM) et François Tanguay, UDM

Entre 1976 et 2018, les élections québécoises ont été structurées par le clivage entre fédéralistes et souverainistes. Ce clivage se traduisait par l’alternance entre le Parti libéral du Québec et le Parti Québécois. La prise du pouvoir par la Coalition avenir Québec (CAQ) en 2018 a brouillé les cartes en ce qui à trait à la persistance de ce clivage.

Quel sera le rôle du PCQ dans cette campagne ? Et comment se situe-t-il sur l’échiquier politique de droite ? Professeur au département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal, mes recherches actuelles portent sur les nationalismes et le populisme au Canada, au Québec et en Allemagne.

Un nationalisme sans quête d’un État…

Si la question nationale ne structure plus le même clivage et ne met plus au premier plan les deux mêmes formations, les quatre dernières années ont montré qu’il est prématuré d’annoncer la fin des dynamiques nationalistes en politique québécoise.

Ces dynamiques structureront certainement la prochaine campagne électorale. Avec le déclin de l’option souverainiste, c’est le nationalisme en quête d’un État, historiquement associé au Parti Québécois, mais également associé à Québec Solidaire, qui connaît un recul dans l’électorat. Bien que plusieurs électeurs de la CAQ se disent encore souverainistes, ils ne votent pas pour un parti politique qui fait ouvertement la promotion de ce type de nationalisme.

La force de la stratégie de mobilisation nationaliste de la CAQ est de rejoindre à la fois une partie des nationalistes économiques, des nationalistes républicains, des nationalistes autonomistes, et des national-populistes sous le même chapiteau. Le parti saisit assez habilement les opportunités de fidéliser ces courants en jouant sur plusieurs tableaux juridiques et symboliques, mais sans susciter les craintes souvent associées à l’option référendaire et à l’horizon souverainiste.

La CAQ n’hésite pas à provoquer des conflits avec le gouvernement libéral fédéral. Cette stratégie lui a jusqu’ici été relativement rentable, à l’exception de l’appui que François Legault a donné au Parti conservateur lors des dernières élections fédérales.

Sinon, la CAQ tente de provoquer des situations dont elle peut sortir gagnante de deux façons. Soit elle obtient ce qu’elle veut, soit elle a beau jeu de dénoncer l’ingérence du fédéral ou du Canada hors Québec dans la politique québécoise. On pense à la contestation en cours du projet de loi 96, par exemple. Plusieurs électeurs québécois, même s’ils s’opposent aux projets de loi 21 ou 96, s’opposent tout autant à l’intervention du fédéral contre un projet de loi voté par l’Assemblée nationale du Québec.

Si le PQ, QS et la CAQ occupent un terrain connu sur la patinoire nationaliste, il restait à savoir quelle place ira chercher à occuper le PCQ et son nouveau chef Éric Duhaime.

Où se situe le PCQ sur l’échiquier québécois ?

La formation de Duhaime a été galvanisé par l’opposition aux mesures sanitaires liées à la pandémie de Covid-19. Sa position libertarienne et alambiquée sur la question de la vaccination a permis à la formation de faire le plein d’un vote de protestation. Elle s’est également fidélisé une base flirtant souvent avec les idées conspirationnistes dans un contexte de forte méfiance envers les médias au Québec.

Des membres de l’équipe conservatrice – jusqu’à 30 % des candidatures selon une enquête de la CBC – ont partagé de la désinformation sur les vaccins et les autres traitements liés à la Covid-19. Des recherches montrent une corrélation entre l’opposition aux mesures sanitaires, le vote pour des formations de droite populistes et la réflexion complotiste.

Le parti place ses pions dans une case très à droite sur les questions économiques, occupant ainsi un espace délaissé par la gouvernance de centre-droite de la CAQ. Dans un contexte où les jeunes électeurs sont confrontés à l’inflation, la carotte de la baisse d’impôt – également proposée par ses compétiteurs libéraux et caquistes – pourrait rapporter. Avec cette baisse d’impôt et sa proposition de suspendre la taxe provinciale sur l’essence, le PCQ tente ainsi de se positionner comme le parti de l’allègement du fardeau fiscal des contribuables.

Sur le plan sociodémographique, le parti dispose d’un attrait important chez les jeunes électeurs, et en particulier chez les jeunes hommes. Certains sondages mesuraient une disparité entre les intentions de votes selon le sexe avec jusqu’à 8 points de pourcentage chez les hommes. Cet écart s’est resserré récemment. Le PCQ dépasse maintenant le Parti québécois dans les intentions de vote.

On peut dégager la stratégie du PCQ sur la question nationale de deux sources claires, la plate-forme électorale et le programme, et de deux autres sources grises, les déclarations publiques du chef et la plateforme Québec Fier.

Le programme contient les positions de fond du parti, la plate-forme contient le répertoire stratégique et tactique qui sera mobilisé dans le cadre de la campagne électorale, ce que Duhaime qualifie d’enjeux prioritaires. Parmi ceux-ci, on trouve la privatisation en santé et l’exploitation des hydrocarbures.

Des thèmes nationaux-populistes et libertariens

La plate-forme électorale présentée le 14 août est muette sur les enjeux nationalistes. Elle ne comprend ni référence à la laïcité, ni à l’immigration, ni à la protection du français. Ce n’est cependant pas le cas du programme du parti, ni des déclarations publiques de Duhaime. Le programme affirme vouloir protéger le français, « le vecteur le plus important de l’identité nationale et du caractère unique du peuple québécois au Canada et en Amérique ».

Il milite pour une baisse de l’immigration et introduit à plusieurs reprises la notion de « compatibilité civilisationnelle » comme principe devant structurer la politique d’immigration. Le programme aspire également à une politique nataliste sans en détailler le contenu. La famille, explique la plate-forme électorale, est « l’institution primordiale de notre société et le socle de notre nation ».

Ces thèmes positionnent le parti dans l’univers sémantique et programmatique des droites national-populistes, mais dans un horizon clairement fédéraliste. De l’aveu de Duhaime lui-même, ce programme partage plusieurs points en commun avec le nationalisme de la CAQ. Il pourrait donc séduire une partie de l’électorat qui avait appuyé Legault en 2018. s’inscrit également en continuité avec le programme du parti.

Au-delà des énoncés généraux, le positionnement concret du PCQ sur les enjeux linguistiques est moins clair. Le PCQ cherche à la fois à se présenter comme un défenseur de la langue française, et comme un représentant des positions libertariennes opposées aux lois linguistiques du Québec. Il cherche d’une part à défendre une identité axée autour de la langue, de la famille et de la civilisation et à séduire un électorat anglophone blasé du Parti libéral du Québec. Il s’agit là de tensions difficiles à concilier en politique québécoise. Il est difficile de voir comment les libertariens peuvent s’engager à soutenir la culture québécoise, s’ils s’opposent systématiquement aux instruments institutionnels et culturels de l’État qui lui permettent de la subventionner, de la diffuser et de la promouvoir.

Cette position de grand écart pourrait finir par susciter la méfiance autant d’une partie des nationalistes, que d’une partie des fédéralistes, qui s’inquiètent pour la situation du français autant au Québec que dans le reste du Canada.

L’appui gênant de l’industrie des hydrocarbures albertaine

Si des ambiguïtés subsistent autour des enjeux identitaires, le PCQ ne fait pas dans les demi-mesures en ce qui concerne l’exploitation des ressources énergétiques du Québec, dont le gaz naturel. Ici, le pétropopulisme vient compléter le national-populisme.

Duhaime est un fervent partisan de l’exploitation de ces ressources, et sa formation entretient des liens avec les groupes d’intérêts propétrole de l’Ouest canadien. La page Facebook Québec Fier, le pendant francophone de Canada Proud, a récemment été décrite comme une usine à contenu pour la formation de Duhaime. Elle constitue un relais, selon Radio-Canada, entre l’industrie des hydrocarbures dans l’ouest et le PCQ. Le groupe Québec Fier a récemment été subventionné par le réseau Canada Strong and Free. Le Modern Miracle Network, une organisation de défense des hydrocarbures, décrit par ailleurs Québec fier comme un groupe à la défense des industries fossiles.

Ces appuis pourraient être dangereux pour le PCQ. Si le parti donne l’impression d’être une succursale québécoise d’une formation albertaine, cela pourrait faire fuir des électeurs qui avaient été séduits par les positions autonomistes et le nationalisme économique de la CAQ.

Autrement dit, il sera difficile de présenter le parti comme souverain sur ses propres politiques économiques s’il est perçu comme le laquais d’intérêts albertains.

Frédérick Guillaume Dufour, Professeur en sociologie politique, Université du Québec à Montréal (UQAM) et François Tanguay, Doctorant, Université de Montréal

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

La Conversation

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