Moshe Safdie, le jeune homme de 25 ans derrière Habitat 67
Habitat 67, cet ambitieux complexe d’habitation devenu un symbole d’Expo 67, visait à offrir à des familles de la classe moyenne les avantages de la banlieue, mais en pleine ville. Cinquante ans plus tard, son architecte, Moshe Safdie, est toujours heureux de sa création, mais il est déçu qu’Habitat 67 n’ait pas été le point de départ d’une reconquête des berges du Saint-Laurent.
Vous aviez 25 ans quand votre projet a été accepté. Avez-vous été surpris?
J’étais tellement excité que je ne me suis pas arrêté pour penser. Aujourd’hui, cela ressemble à un conte de fées, voire à un miracle, qu’un jeune architecte de 25 ans qui n’avait jamais construit un seul bâtiment ait convaincu trois paliers de gouvernement de réaliser un projet aussi radical.
Êtes-vous heureux de l’héritage d’Habitat 67?
Oui, car le projet est passé par plusieurs phases. Au début, il y a eu beaucoup de critiques. Pendant plusieurs années, je n’ai pas eu de projets. Ensuite, il y a eu une phase d’indifférence, parce que la mode en architecture est passée au postmodernisme. Aujourd’hui, le cycle est complété: dans les écoles d’architecture, Habitat 67 est très hot. C’est très agréable!
Votre idée originale consistait à offrir des logements en ville à la classe moyenne et de revitaliser le secteur de la Cité-du-Havre. Pensez-vous avoir réussi?
Habitat 67 est sans contredit un lieu agréable pour ses résidents. S’il y a eu des questionnements, c’est sur la capacité de payer et non sur le fait de savoir s’il s’agissait d’un bel endroit où vivre. L’autre objectif que nous avions – qui faisait aussi partie du plan directeur d’Expo 67, dont j’étais responsable –, c’était que la Cité-du-Havre devienne une prolongation de la ville. On voulait aussi que les îles et la partie du port tout près du bassin Bickerdike fassent partie de la ville. Là, nous avons échoué.
Un projet novateur
Habitat 67 est un complexe de 158 appartements composé à partir de 354 blocs de béton préfabriqués. Il est conçu pour que la lumière puisse entrer dans tous les logements, d’où sa structure en fromage suisse.
Photo: Safdie architects
Votre idée originale, qui comprenait plus de 1000 logements, aurait-elle eu plus de chances de succès?
Sans contredit. Avec plus d’un millier de familles, des écoles et des services, ça aurait été une réussite. Il aurait aussi fallu que la Ville pousse le développement au cours des 30 ou 40 dernières années, mais elle ne l’a pas fait.
«Quand les Jeux olympiques ont été accordés à Montréal, je me rappelle avoir dit au maire Jean Drapeau: “Il y a là une occasion. Le village olympique devrait être érigé près d’Habitat 67 et le stade devrait être construit sur l’île Ronde. Ça renforcerait l’engagement de la ville à construire sur les rives du fleuve.” Pour des raisons politiques, c’est allé dans l’est. Il y a bien deux ou trois édifices de logements près d’Habitat 67, mais je n’appellerais pas ça un succès.» -Moshe Safdie
Beaucoup de tours de condos ont été construites en Amérique du Nord. Elles n’ont pas le design d’Habitat 67, mais ont-elles pour vocation d’attirer les familles en ville?
Quand nous construisions Habitat 67, la classe moyenne se déplaçait vers la banlieue, tandis que les pauvres s’entassaient dans des tours d’habitation en ville. Au cours des 50 dernières années, il y a eu un renversement complet de la situation, mais je ne dirais pas que les condos bâtis à Montréal, Toronto ou Vancouver incarnent les idées qui sous-tendent Habitat 67. Ces condos sont essentiellement le problème que nous essayions de résoudre: dans la plupart des cas, il n’y a pas d’espaces extérieurs, ils sont très compacts, il y a de longs corridors, toutes des choses que nous voulions changer. On commence à peine à voir des projets immobiliers qui ne sont pas des condos typiques.
Comment Habitat 67 s’insérait-il dans l’esprit d’Expo 67?
C’était une époque optimiste et il y avait une atmosphère utopiste. Le pavillon de [Richard] Buckminster Fuller [la Biosphère], le pavillon de l’Allemagne de Frei Otto et Habitat 67 étaient tous dans le même esprit utopique. Depuis, aucune exposition universelle n’a été aussi optimiste dans son approche. Toutes les expos que j’ai visitées – Osaka, Shanghai, Séville – étaient beaucoup plus commerciales.
Des bâtiments connus
L’architecte canadien d’origine israélienne Moshe Safdie a œuvré à de nombreux projets connus :
- Le complexe Marina Bay Sands à Singapour (photo)
- Le musée de l’histoire de l’Holocauste de Yad Vashem en Israël
- La bibliothèque publique de Vancouver
- Le musée du sikhisme à Rupnagar, en Inde
- Le Musée des beaux-arts de Montréal