L’Institut Pacifique veut combattre l’incivilité
MONTRÉAL — Karell Émard n’avait que 13 ans lorsqu’elle a entendu un spectateur lui crier: «Retourne dans ta cuisine, va faire la vaisselle», alors qu’elle jouait au hockey dans une équipe de garçons.
Aujourd’hui âgée de 30 ans, à sa quatrième saison au sein des Canadiennes de Montréal, l’attaquante traîne toujours ce souvenir, canalisé sous forme de motivation à l’époque.
«Je l’ai entendu. Je me souviens de tout, je me souviens des détails», raconte-t-elle sans la moindre amertume tout en laissant tomber le commentaire suivant: «Trop souvent, un coach, un parent a un impact destructeur sur l’expérience d’un jeune athlète. L’athlète peut être sensationnel, il pourrait être le prochain Sidney Crosby, mais il ne continuera pas dans son sport parce qu’il a haï ça, à cause des autres.»
Théâtres de comportements disgracieux et d’incivilité, les plateaux sportifs de jeunes évoquent souvent en effet les terribles mots de Jean-Paul Sarte selon lesquels «l’enfer, c’est les autres».
C’est justement ce que veut changer l’Institut Pacifique, qui a présenté mercredi à Montréal son programme «Le sportif pacifique», estimant qu’il est tout à fait possible de réduire les comportements disgracieux sur les plateaux sportifs de jeunes, qu’ils soient le fait des parents, d’entraîneurs ou encore des jeunes sportifs eux-mêmes.
Violence insidieuse
«Le sport, ça soulève beaucoup de passion. Il y a de la passion, des émotions et des réactions», explique Shirlane Day, directrice générale de l’Institut.
Elle fait valoir que l’on peut contrer la violence physique sur un plateau sportif, mais qu’il y a une violence insidieuse en périphérie qui exige une intervention plus complexe.
«La violence, ça se passe beaucoup avec les parties prenantes autour. Ça peut être un entraîneur qui a des propos blessants envers l’athlète, ou à l’endroit de l’arbitre. C’est là qu’il y a des besoins, dans l’ensemble des acteurs pas seulement les athlètes», souligne-t-elle.
Une étude réalisée en 2011 auprès de 600 joueurs de soccer d’élite (filles et garçons de 12 à 17 ans) tend à lui donner raison: on y apprend que les trois quarts (72 pour cent) des jeunes avaient été témoins d’au moins un comportement antisportif dans l’année précédente et que la moitié (51 pour cent) rapportaient avoir été victimes d’au moins un comportement violent dans l’année précédente.
L’exemple parental
L’objectif n’est toutefois pas d’enlever ou même d’atténuer la passion, bien au contraire, mais plutôt de rappeler que les mêmes notions de civilité s’appliquent sur le terrain de jeu qu’ailleurs dans la société, rappelle Khadim MBaye, secondeur chez les Alouettes de Montréal et ardent supporter de l’initiative.
«Quand t’es un partisan, un parent, tu dis des mots pour essayer de déstabiliser l’autre équipe, pour que l’équipe de ton enfant gagne et ce n’est pas nécessairement malsain; c’est le sport, mais ce n’est pas une raison pour lancer certains propos déplacés», dit-il.
«On essaie de garder ça éthique parce que si toi tu tiens des propos déplacés, on s’entend que ton enfant va le faire aussi», fait-il valoir tout en émettant une bonne pensée pour les arbitres.
«Les arbitres en prennent un coup, pauvres eux! Parfois, je regarde ce qui se passe et je me dis: mon Dieu, je suis content d’être un joueur et pas un arbitre!»
GSP: le respect
Retenu par d’autres obligations, le légendaire champion en arts martiaux mixtes Georges St-Pierre a tout de même tenu à participer au lancement du programme par voie téléphonique, surtout dans le but de rappeler que s’ils sont un sport, les arts martiaux, contrairement aux sports d’équipe ou autres, ne sont pas un jeu et qu’il y est encore plus important de développer la notion de base qui sous-tend tout le programme de l’Institut: «Une des premières choses que l’on apprend, c’est le respect. Le respect de soi-même et après tu apprends à respecter les autres.»
L’Institut, qui oeuvre notamment depuis plusieurs années contre l’intimidation en milieu scolaire, a conçu une trousse qui comprend des outils de formation, d’accompagnement et de résolution de conflits destinés autant aux parents, spectateurs, entraîneurs et arbitres qu’aux jeunes athlètes eux-mêmes.
Les éléments d’intervention sont basés sur les notions de respect, d’équité, de dignité et de loyauté dans le sport et comprennent un code de conduite touchant notamment le respect des règlements, le geste et les propos respectueux, l’acceptation dans la dignité du résultat, même dans la défaite, et la reconnaissance et la valorisation de l’effort.
Des résultats
Le programme a été mis à l’essai durant deux ans auprès d’équipes de hockey mineur, et les résultats sont plus que prometteurs, selon Shirlane Day.
«Ils sont très satisfaits. C’est une culture à changer, mais c’est comme ce que l’on fait dans les écoles. Ça prend un peu de temps. La culture d’esprit sportif est une culture qui doit être partagée par tous les acteurs.»
Karell Émard, qui a accepté avec empressement de devenir ambassadrice du programme, est convaincue que l’effort en vaut la chandelle: «Je pense que c’est quelque chose qui ne fait qu’ouvrir les yeux, qui fait réaliser des choses et qui te rend un peu plus conscient de tes actions, de tes gestes et de tes paroles.»
Selon elle, il ne s’agit que de faire un pas de plus dans l’esprit de certains: «S’ils se disent: je ne dirais jamais ça à mes enfants, je ne dirais jamais ça à quelqu’un dans la rue, dans un restaurant, alors pourquoi tu le dirais dans un aréna? Pourquoi tu le fais sur un terrain de soccer?»
«Pacificateurs d’estrades»
Les services offerts tournent notamment autour de la gestion de la colère et du stress, la collaboration et la communication, l’intervention face aux comportements antisportifs, l’apprentissage des techniques de prévention et d’intervention dans les estrades et ainsi de suite.
Il comprend d’ailleurs à cet effet des formations pour la mise en place d’«agents de prévention» et de «pacificateurs d’estrade».
L’Institut Pacifique est déjà présent dans plus de 400 écoles et quelque 200 services de garde au Québec, où il oeuvre contre l’intimidation.
Son expertise et le programme seront mis à la disposition des associations sportives qui en feront la demande.