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Vélos et trottinettes électriques: comment mieux gérer la «mobilité durable»

trottinettes électriques Lime
Photo: Zacharie Goudreault/Métro

Après un seul projet pilote, mené à l’été 2019, Montréal a refusé aux opérateurs de trottinettes électriques libre-service sans ancrage de continuer l’expérience à l’été suivant. Ce refus se poursuit en 2021. Les vélos électriques sans ancrage, eux, ont été réautorisés, quoique toujours absents, pour l’instant, des rues de la métropole.

Malgré une réglementation claire, créée pour l’occasion, la ville a fait le bilan d’un stationnement désordonné et souligne le manque de réorganisation des flottes de façon satisfaisante, de la part des opérateurs de « VNILSSA » (Véhicule Non Immatriculé Libre Service Sans Ancrage).

Toutefois, la ville démontre aussi que les VNILSSA répondent à une réelle demande des citadins. Durant le pilote, l’usage a augmenté proportionnellement à l’augmentation des flottes.

Cette expérience mitigée ne devrait pas sonner le glas du sans ancrage : celui-ci renforce les réseaux de transport alternatifs à la voiture en ville. Mais une plus grande collaboration institutionnelle entre le privé et le public pourrait aider à mieux intégrer l’offre aux réseaux de transport sur un plus vaste territoire, à limiter les inconvénients urbains, sociaux et environnementaux, et à offrir le service de façon plus équitable.

Cet article fait suite à une étude que j’ai menée en 2018 sur les premiers déploiements de la technologie sans ancrage à Paris, en France. Contrairement à Paris, la politique montréalaise a été créée avant l’arrivée des opérateurs. Pourtant, des écueils similaires peuvent être constatés dans les deux cas. Avec mon coauteur, nous nous intéressons aux nouvelles technologies et changements d’habitude, ainsi qu’à leurs impacts sur la mobilité et à leurs intégrations à l’espace urbain.

Une femme circule en trottinette électrique
Une femme circule en trottinette électrique à Montréal.
Ville de Montréal

Un usage complémentaire

Le ton de l’administration montréalaise reste ouvert. Portée par des ambitions de bien-être urbain et de reconquête de l’espace public, Montréal considère les VNILSSA comme une solution de mobilité qu’il convient d’apprivoiser. Et pour le gouvernement du Québec, « la mise en circulation de trottinettes électriques en location libre-service s’inscrit dans la poursuite d’objectifs de la Politique de mobilité durable ».

Les VNILSSA sont souvent utilisés là où il y a un manque de vélos BIXI et à proximité du réseau de transport en commun, ce qui suggère un usage de ces services en complémentarité. Ils participent donc pleinement à la vision de « mobilité intégrée », centrale au plan d’action pour la mobilité « durable » du Québec.

Dans cette vision, l’efficacité de ces combinaisons repose sur la connectivité des différentes offres de transports, tant au niveau des infrastructures urbaines que numériques. Le téléphone intelligent devient incontournable pour optimiser ses déplacements. Dans le jargon, on parle du MaaS : Mobility as a Service.

De plus en plus d’acteurs privés de la mobilité offrent leurs services aux villes. Ces dernières doivent réinventer leur gouvernance pour que les transformations urbaines qui se dessinent servent avant tout le public, mais aussi le fournisseur privé.

Une offre au service de l’environnement, vraiment ?

À l’annonce de l’interdiction des trottinettes, un représentant de Lime annonçait : « Nous sommes prêts à travailler avec n’importe quelle ville qui croit à une réduction de la pollution ».

Pourtant, à ce jour, il a plutôt été montré, notamment en France, que ni les trottinettes, ni les vélos sans ancrage n’avaient d’impact sur la démotorisation, et donc sur les émissions associées. D’autant plus que la logistique (rebalancement et maintenance) se fait souvent par camion.

Des trottinettes en libre-service à Paris
Des trottinettes en libre-service à Paris. Leur utilisation n’aurait pas fait diminuer l’utilisation de véhicules motorisés.
Shutterstock

Par ailleurs, le cycle de vie des flottes est loin d’être vertueux. En Chine, des millions de vélos se retrouvent à la casse. En cause, un modèle économique ultra compétitif. Les opérateurs cherchaient avant tout à prendre le marché, par la vitesse de déploiement ou par la taille de la flotte. Et les entreprises qui faisaient faillite ou quittaient un territoire trouvaient leur compte en se débarrassant des véhicules. Une « logistique » moins coûteuse que d’entretenir, d’entreposer ou de recycler une flotte.

Le contrôle à l’entrée sur le marché ici n’aura pas empêché la compagnie Jump de se débarrasser de centaines de vélos électriques, une fois la saison terminée.

Enjeux d’organisation et d’intégration dans l’espace public

Les problèmes de stationnement sont les plus préoccupants selon les autorités, comme expliqué dans le bilan du pilote. Les véhicules déposés sans considération obstruent les circulations piétonnes ou cyclistes, et posent des problèmes de sécurité et de qualité du paysage urbain.

Des trottinettes en libre-service stationnées sur le trottoir
Des trottinettes en libre-service stationnées, obstruent le trottoir, à Varsovie, en Pologne.
Sutterstock

Certains prennent du recul et soulignent que la disruption dans l’espace public est comparable à celle de l’arrivée des voitures au milieu des chevaux. En réalité, les voitures sont plus souvent mal garées et bien plus encombrantes, comme l’a démontré cette étude.

Les opérateurs proposent du « geofencing » (de barrière & géographie) pour gérer l’usage. Il s’agit d’une zone virtuelle dans laquelle l’usager se voit forcer des comportements (bridage automatique de la vitesse, impossibilité d’y terminer une course). La ville parle de « gardiennage virtuel ».

Certains opérateurs exigent des usagers qu’il cadenasse le véhicule au mobilier urbain approprié à l’aide d’un cadenas intégré.

Un vélo Jump cadenassé à lui même (ici n’obstruant pas le trottoir). Il est facile pour un usager de contourner les règles de stationnement.
Axel Chiche

Un modèle qui n’est pas accessible à tous

Pour maximiser le sans ancrage, il faut offrir le service sur le plus de territoire possible. Or, ce qui a été observé à Montréal, malgré l’autorisation d’exploitation dans 19 arrondissements, c’est un rebalancement des flottes dans des zones plus denses et plus « aisées ». Le modèle marchand ne correspond pas à l’idéal d’un projet de mobilité intégré et accessible à tous.

Carte de la Ville de Montréal
Capture d’écran du Bilan 2019 de la ville. Cartographie des zones de densités spatiales des points de départ et d’arrivée des VNILSSA.
Université McGill

La tarification non plus ne favorise pas l’adoption du service par le plus grand nombre. À titre comparatif, Lime ou Jump étaient trois fois plus chers à la minute que BIXI sans abonnement (30¢ contre 10¢). Avec abonnement, BIXI devient de loin plus abordable. Cependant, son offre électrique affiche maintenant des tarifs semblables aux VNILSSA sans abonnement, rédhibitoires selon les usagers.

Trouver le bon modèle de gouvernance

Malgré ses défauts, le sans ancrage arbore de nombreux avantages. Il aide a palier au problème du « dernier kilomètre » – pas de station, pas de contrainte d’itinéraire et un stationnement au plus proche du réseau de transport en commun. Les possibilités d’analyses des déplacements grâce aux données d’usages pourraient aider la planification urbaine. Il est financé par le privé et peut offrir une plus grande flotte à moindre coût qu’un service avec ancrage.

Mais l’administration a dû mobiliser des ressources pour encadrer les VNILSSA, un constat qui ne passe pas. On ne peut pas voir les bénéfices être privatisés alors que plusieurs coûts sont partagés par la collectivité.

Les exigences pour amener le sans ancrage à remplir son rôle de mobilité durable demande des efforts importants que les opérateurs ne sont peut-être pas enclins, voire capables de fournir. Si les problèmes d’usage sont leur responsabilité, ils restent le fait des usagers. Et la marge d’action des opérateurs pour influencer ces derniers n’est pas si grande. La prévention par la communication, le « geofencing » et les sanctions des bonnes et mauvaises pratiques ont leurs limites.

Ne pourrait-on pas alors envisager que les opérateurs payent leur juste part des interventions inévitables de la Ville (surveillance, délimitation de stationnements, « rangement » des véhicules dans l’espace public) ?

En amont, la Ville peut renforcer ses critères minimums d’exploitation. Notamment, avoir un cahier des charges strict pour les logistiques d’opérations (maintenance, rebalancement, distribution, tarification), pour le cycle de fin de vie des flottes et pour une politique de mobilité réellement durable et pour tous.

Affiche montrant des croquis de gens portant des casques
La compagnie Bird, qui a participé au pilote, travaille déjà avec des villes à des programmes de tarifications avantageux.
Bird

Montréal aspire à des solutions de mobilité intelligente, active et partagée. Aujourd’hui, l’apport urbain du sans ancrage est toujours marginal, et les profits sont surtout au bénéfice des opérateurs. La collaboration institutionnelle est indispensable pour une meilleure valorisation écologique et sociale de ces nouveaux services.

À l’instar de BIXI à ses débuts, le sans ancrage essuie quelques difficultés et gagnera probablement en acceptabilité de la part des pouvoirs publics et des citoyens. Mais dans sa forme actuelle, force est de constater qu’il ne répond que de façon incomplète aux exigences d’une mobilité durable pour tous.

Axel Chiche, Agent de recherche, département d’études urbaines, Université du Québec à Montréal (UQAM) et Ugo Lachapelle, Associate professor of urban studies and planning, Université du Québec à Montréal (UQAM)

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.

La Conversation

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