Des bras et des ailes
Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.
Ligne d’autobus 51, direction est. Il est 15 h 40.
Ils sont huit garçons réunis à l’arrière de l’autobus.
Ils ont l’enthousiasme d’un jouet trop crinqué, l’énergie d’une centrale électrique et les hormones dans le tapis. Ils se donnent des coups de coude, s’écœurent un peu, rient beaucoup. Les jeunes hommes appartiennent tous à la même équipe, celle des Adolescents de Montréal.
En fait, il n’y a pas d’équipe adverse puisque ceux que ces ados affrontent, ce sont eux-mêmes. Et la partie n’est pas gagnée! Certains sont aux prises avec de longs bras dont ils ne savent trop quoi faire. D’autres affichent un petit duvet, voire un concept de moustache en devenir, qu’ils s’acharnent à raser et qui repousse un peu arbitrairement. Sans parler du combat contre l’acné légère ou sévère. Cette sournoise ennemie qui, tel un champ miné, menace de vous exploser au visage. Elle ne s’annonce pas. Elle s’invite en plein sur le bout du nez, au milieu du front ou d’une joue, se répandant comme une constellation maudite qui éclipse la physionomie. Et quand on a entre 13 et 18 ans, on ne voit qu’elle qui brille dans le firmament de nos complexes.
Le corps en révolution, ces jeunes hommes, en fait, seraient davantage des compagnons d’armes qui font la guerre aux boutons, aux poils hirsutes et à tous ces bouleversements qui les font se sentir étrangers sur leurs propres territoires. L’un des valeureux soldats, quand même un peu amorphe, voyant arriver son arrêt, se détache mollement de sa légion en mutation. Il salue sa bande à la cantonade. Un beau «Bye les gars!» en mue bémol qui passe directo de l’alto au baryton. On sent d’abord la gêne du garçon, puis rapidement, cette dernière se transforme en fierté. Sa voix module vers la maturité, vers la virilité, pense-t-il. Mais pour le moment, il n’ose plus parler. Il s’éloigne avec ses bras pendants et franchement embarrassants.
Et bientôt, très bientôt espère-t-il, il ouvrira ses trop longues ailes.