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Les usagers du métro, des rats de laboratoire

Depuis 2011, les salaires de 12 des plus hauts dirigeants de la STM ont bondi de 10 %. Photo: Yves Provencher/Métro

Usagers du métro, peut-être faites-vous actuellement, et à votre insu, l’objet d’une expérience de la part d’étudiants en sociologie du Cégep Saint-Laurent. Ces derniers descendent régulièrement dans le métro pendant deux heures pour analyser notamment votre réaction au stress et à la promiscuité, ainsi que votre côté voyeur.

Chaque mois, une quinzaine d’étudiants parcourent une partie de la ligne orange avec leur professeur de sociologie, Vincent Paris, pour faire des observations sur le terrain et échafauder certaines théories. Par groupes de trois ou quatre, ils imaginent donc des stratégies.

Une étudiante se déguise, par exemple, en femme enceinte pour tester le civisme des usagers, pendant que les trois autres notent l’attitude de ces derniers. D’autres étudiants essaieront de vous faire signer une pétition farfelue ou tenteront de vous déstabiliser en vous fixant de façon insistante.

Il s’agit en fait de l’adaptation montréalaise des méthodes du sociologue Erving Goffman, qui étudiait les interactions entre individus dans les files d’attente et les différentes stratégies que ces derniers adoptaient lors de contacts face à face.

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Dans la bouche du prof montréalais de sociologie, cela donne ceci : «Dans le métro, côté interactions, c’est la guerre de tous contre tous, explique Vincent Paris. Chacun doit déployer des stratégies afin de faire bonne impression (aider une femme enceinte), sauver la face (se relever rapidement), garder sauve celle de l’autre (ne pas rire si l’autre glisse) et enfin, se protéger des intrusions d’autrui (avec un livre ou un iPod)».

S’ignorer les uns les autres peut donner l’impression qu’on ne communique pas, mais pourtant, dans l’œil averti du sociologue, c’est l’inverse. Il y voit l’application d’une règle implicite du transport en commun : ignorez-vous les uns les autres. «Entrer en conversation avec quelqu’un sans raison créerait de la méfiance et un risque de rejet, lance le sociologue. Alors, les usagers se disent : “Je t’ignore volontairement et je sais que tu le sais, mais c’est très bien ainsi.’’»

La fameuse bulle
C’est bien connu, les Nord-Américains ont un seuil de tolérance beaucoup moins élevé que les Asiatiques quand il s’agit de se tasser dans le métro à l’heure de pointe. Ce qui est moins connu, c’est qu’on peut chiffrer cela.

Il s’agit d’observer à partir de quel seuil de remplissage, les usagers arrêtent d’entrer dans un wagon et préfèrent attendre le prochain métro. On fait ensuite le calcul suivant : le nombre de personnes debout divisé par la superficie du plancher. «À Montréal, le seuil se situe à 3,66 personnes par mètre carré. C’est deux fois moins qu’à Sao Paulo», explique Isabelle Tremblay, porte-parole de la Société de transport de Montréal (STM).

Le chiffre est d’importance, car il permet à la STM de prévoir ses besoins en matériel roulant.

En gros, on pourrait dire que, parce que les Montréalais n’aiment pas se tasser, la STM doit acheter beaucoup plus de voitures de métro que ses homologues brésiliennes. Mais rassurez-vous, la STM n’a pas prévu embaucher du personnel sur les quais pour pousser les usagers à se tasser au maximum comme à Tokyo!

L’autre façon de mesurer la bulle personnelle consiste à tenter de rapprocher sa main de celle de son voisin de poteau. «Si on laisse moins d’un poing de distance ou si on se rapproche à moins de 30 cm de quelqu’un, on entre dans sa sphère intime», note le sociologue Vincent Paris. «Quand la distance est rompue, on assiste à différents rituels de réparation qui peuvent prendre la forme d’un sourire ou d’excuses verbales ou à des rituels d’évitement tels que faire comme si rien ne s’était passé», ajoute-t-il.

Différences culturelles
Un métro moins plein signifie aussi moins de mains baladeuses. À Mexico, à Delhi ou à Tokyo, les femmes, qui sont souvent les premières victimes de ces explorations non sollicitées, ont trouvé la solution. Un wagon leur est réservé, ainsi qu’aux enfants.

À Montréal, la principale problématique semble être le manque de civisme. La STM demande d’ailleurs régulièrement à ses usagers de ne pas abandonner leurs déchets, d’éviter de bloquer les portes et de laisser leur siège aux personnes à mobilité réduite.

Autre irritant, les usagers qui restent obstinément proches des portes sans se ranger vers le fond. La page Facebook qui a été créée pour dénoncer ce phénomène compte près de 400 amis. Son nom : Tasse-toi! Dégage les portes du métro!

À Sao Paulo par contre, deux des directeurs de la STM ont été agréablement surpris. Même si le wagon était bondé et qu’ils étaient loin de la porte, ils ont été tranquillement poussés vers la sortie par les autres usagers, «comme si on surfait sur une vague», racontent-ils, encore impressionnés.

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