Hors du commun: Berri-Mumbai
Chaque semaine, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.
Nous sommes vendredi. Il est 17h10. Station Berri-UQAM.
Une marée humaine d’une densité impressionnante se déplace dans tous les sens, à la croisée des connexions pour les lignes orange, verte et jaune. Ici, ceux qui mettent le cap sur le nord, le sud, l’est ou l’ouest ont tous un pétard dans leur boussole qui pointe en direction du week-end.
Chacun est pressé de gagner sa destination; que cette dernière soit le divan sur lequel on pourra s’écraser pour regarder des films toute la soirée, ou un bar festif où célébrer avec des amis un 5 à 7 qui s’étira jusqu’au bout de la nuit, ou encore le chantier de châteaux de mousse des enfants, prévu à l’heure du bain.
L’énergie et l’achalandage de cette fin de journée rappellent le mouvement dans les rues de certaines mégapoles.
Comme Mumbai, par exemple, où j’ai eu la chance de passer du temps pour le travail. Chaque heure là-bas, peu importe le jour de la semaine, peut se comparer à plus grande échelle à la dynamique de nos vendredis, 17h10, station Berri-UQAM.
Que ce soit sur les quais de gare, sur les trottoirs ou dans les rues, ça grouille d’humains tout le temps et partout. C’est une valse perpétuelle de mouvements et de klaxons qui s’expriment, tantôt pour éviter un accident, tantôt pour… aucune raison.
L’humain piéton doit donc, en tout temps, négocier sa trajectoire. Même si ledit piéton est majoritaire (on parle de 20 millions d’habitants et d’environ 33 voitures pour 1000 habitants).
Je me souviens que les premières fois que j’ai eu à traverser un carrefour toute seule, j’ai dû mettre 20 minutes à atteindre l’autre côté de la rue tant j’étais terrifiée. Dès que j’osais faire un pas, je reculais immédiatement de deux.
Finalement, et pour obéir à la sage maxime «Quand faut y aller, faut y aller!», je finissais par plonger, en fermant presque les yeux et en me répétant, tel un mantra: «Le projet est de ne pas mourir, le projet et de ne pas mourir.»
Un jour, un collègue indien m’expliqua comment l’harmonie était possible au sein de cette cacophonie. «Il ne faut pas hésiter. L’hésitation exacerbe le chaos et fragilise l’équilibre. Quand on fait son chemin sans douter, on arrive à destination sans avoir mis en danger soi ou autrui.»
Je me suis arrêtée un moment pour repenser à ces sages paroles, au beau milieu de notre cohue montréalaise.
Et c’est à cet instant précis qu’un monsieur pressé m’a percutée en maugréant. Ce qui confirma de façon franche cette théorie de l’équilibre du monde.