Gérer les trolls
Sur Twitter, un troll qui n’en est pas à ses premiers propos troublants a réagi ainsi à la couverture de l’essai Les superbes, qui salue le succès des femmes en présentant des entretiens avec, entre autres, Pauline Marois, Cœur de pirate, Marie-Mai et Fabienne Larouche: «wow malade! de l’au-delà, marc lépine a mis à jour sa fameuse liste #lol» [sic] On rappellera, pour les plus jeunes, que Marc Lépine est cet antiféministe qui a abattu 14 étudiantes de Polytechnique et dressé une liste des féministes qu’il aurait voulu tuer s’il en avait eu le temps.
https://twitter.com/LaClermont/status/788203377318588416
Bien que la SQ ait transféré le signalement à sa Centrale de l’information criminelle, il y a fort à parier qu’il n’y aura que peu de conséquences pour le sinistre individu, et pas grand-chose pour rassurer les femmes visées par ce commentaire perturbant. S’agit-il d’une menace directe? Non. D’un commentaire haineux? Difficile à dire: faire une référence douteuse à Marc Lépine relève-t-il de l’incitation à la haine? Dans le cadre de nos lois, ce tweet correspond tout au plus à de l’antiféminisme et/ou de la misogynie, et aux dernières nouvelles, il n’est illégal d’être ni l’un, ni l’autre.
Il y a quelque chose d’excessivement frustrant dans cette affaire, comme dans la gestion des trolls en général. Il m’est arrivé une fois de rapporter un incident au SPVM. J’ai dû me rendre au poste de mon quartier pour déposer ma plainte, qui a été traitée aussi lentement qu’il est possible de le faire. Au bout du processus, on m’a dit qu’il était impossible de donner suite à ma requête, car il n’y avait aucun moyen de garantir que l’individu en question avait lui-même proféré les menaces de mort et que ce n’était pas, par exemple, un enfant qui s’était emparé de son clavier. Résultat, j’ai perdu un avant-midi, et l’homme en question n’a jamais été dérangé.
On peut, bien sûr, bloquer les trolls. Cela a pour effet de cacher le problème. Les trolls peuvent continuer à proférer les pires insanités sans qu’on le sache. Comme l’expliquait la chroniqueuse du Guardian Lindy West, il n’y a aucun moyen de sortir vainqueur d’une relation avec un de ces individus toxiques. «Si on réplique, on se fait accuser de “nourrir les trolls”. Si on bloque, on nous dit qu’on a peur du débat. Si on les signale, on les censure. Si on parle de nos expériences personnelles, on nous reproche d’être des victimes professionnelles», explique-t-elle.
Déjà, écrire ce billet, c’est accorder beaucoup trop d’attention à un triste individu qui ne cumule pas même 200 abonnés sur Twitter, ce réseau social en voie d’extinction. Qualifier l’expérience d’«excessivement frustrante», c’est le gratifier de beaucoup trop de pouvoir. Mais entre ça et se taire…