Les fifilles
Les filles en humour, ce n’est pas un petit sujet. On a longtemps cru qu’elles n’étaient pas drôles. Puis, on a demandé à celles qui l’étaient c’était quoi être une fille en humour, et encore aujourd’hui, on ne semble pas se lasser de cette question. Maintenant qu’elles commencent à faire leur place comme il faut, on s’en excuse presque.
Pour justifier la décision de programmer un gala Juste féminin, le directeur de la programmation des galas Juste pour rire, Christian Viau, a expliqué à La Presse que «le gala Juste féminin ne sera pas un spectacle de “fifilles” et qu’il y aura une diversité d’humoristes, hommes et femmes, sur scène», comme si le problème, dans toute cette histoire, c’était que les filles allaient voler la place des hommes et transformer une soirée d’humour en affaire de «fifilles», terme qui en dit beaucoup sur le mépris qu’on peut porter à la gent féminine. Dirait-on des galas à prédominance masculine – c’est-à-dire TOUS LES GALAS – que ce sont des galas de gagars?
Pour ajouter l’insulte à l’injure, Viau a justifié le manque de femmes dans ses galas par le fait qu’il ne pouvait pas en inventer. «Ma mère est drôle dans un party de famille, mais je ne peux pas la mettre sur la scène», a-t-il dit, ignorant probablement illustrer une réalité qui touche les femmes dans plusieurs domaines comme la cuisine ou l’humour où elles sont tout aussi compétentes que les gars, mais où ces derniers dominent lorsque vient le temps de recevoir les honneurs.
On le lui accorde, il y a moins de filles que de gars en humour. La chercheuse Christelle Paré, qui est rattachée au Centre for Comedy Studies Research, en dénombre près de 50, tout en apportant cette nuance : «On pourrait croire qu’elles sont nombreuses, mais [de ce nombre] plusieurs n’ont pas accès à la scène de manière récurrente, pour toutes sortes de raisons.» Parmi ces raisons, on trouve notamment la conciliation travail-famille, la préoccupation de l’apparence qui ajoute parfois un stress à la performance, qu’on le veuille ou non, et les vieux préjugés sur les filles qui teintent le jugement des moyenne et vieille gardes. Par exemple, le fait qu’un programmateur de galas qui cache mal son mépris des femmes dans les médias soit responsable de sélectionner ceux et celles qui pourront participer à ces galas.
L’humoriste Anne-Marie Dupras, qui a essuyé quelques refus auprès de ce programmateur, la trouve bien drôle: «Dire que y a pas assez des femmes drôles au Québec pis que tu peux tout de même pas en inventer, c’est comme ouvrir un garde-robe plein à craquer pis dire: “J’ai rien à me mettre!” T’as pas rien à te mettre, t’as rien qui te fait sentir hot pis confortable», ironise-t-elle. L’humoriste Léa Stréliski, elle, cite un autre facteur : «Si vous vous demandez pourquoi y a moins de filles en humour, c’est parce que pendant qu’on répond à cette question, les gars écrivent des jokes.»