Se faire soi-même la morale
Dans une semaine, ça fera un an que je n’ai pas bu. Comme plusieurs qui s’apprêtent à faire de même, j’ai relevé le défi du mois sans alcool l’an passé et j’ai ressenti un bien-être que j’ai décidé de prolonger au-delà des 28 jours. Depuis, j’adhère à la sobriété volontaire, un concept que j’adore parce qu’il enlève à l’abstinence son caractère pathologique. L’alcool est bien la seule drogue qu’on doit se justifier de ne pas consommer.
Et vous seriez surpris de constater le nombre de personnes qui s’empressent de me dire que, elles, n’ont pas de problème d’alcool lorsque je dis que je ne bois pas. C’est comme si mon choix de ne pas boire était forcément le symptôme d’un problème, mais surtout, comme si ma décision était un commentaire éditorial sur leur propre relation à l’alcool.
Ça me fait bien rire, et si j’étais maline, je leur répondrais: «C’est toi qui sais…» sur ce ton qui sous-entend que j’ai ma petite idée. Mais je ne le fais pas parce qu’honnêtement, je n’ai aucune opinion sur la consommation des autres. Je n’ai pas envie de faire la morale à qui que ce soit. De toute façon, c’est inutile: les gens se font la morale à eux-mêmes en fonction des comportements de leurs semblables.
Ma collègue Dalila Awada écrivait en substance cette semaine qu’il suffit aux personnes véganes de dire qu’elles le sont pour qu’on se sente pris en défaut. On imagine les véganes comme des personnes prêchant contre la viande et accusant les omnivores d’être des assassins. S’il existe de ces extrémistes prêts à se mettre à dos une majorité d’individus pour la cause, la plupart des végétaliens vivent leur vie tranquille sans verser dans le prosélytisme. Leurs choix nous mettent forcément face aux nôtres et à toutes les contradictions qu’ils impliquent, mais c’est nous qui, la plupart du temps, en déduisons un jugement moral à notre endroit. Nous nous faisons nous-mêmes la morale.
J’entends régulièrement dire, en réaction à l’actualité, que les gens sont tannés de se faire faire la morale. Les artistes veulent nous faire la morale avec leur Pacte. Gillette nous fait la morale en nous encourageant à être gentils. On ne peut plus être raciste sans se faire faire la morale…
À ça s’ajoutent les conclusions exagérées qu’on tire parfois de certaines discussions. Récemment, le chroniqueur Kéven Breton abordait le concept d’appropriation corporelle à l’émission On dira ce qu’on voudra, à ICI Radio-Canada Première. J’ai vu plusieurs personnes partager le lien vers l’émission, outrées que les comédiens ne puissent plus incarner de personnages handicapés. Avaient-ils seulement écouté le segment pour grimper dans les rideaux de la sorte? Jamais mon collègue n’a affirmé une telle chose. Il a suggéré qu’une meilleure recherche servirait davantage le jeu des comédiens et qu’en parallèle, une plus grande place pourrait être faite aux acteurs en situation de handicap.
Chaque société possède ses idéaux auxquels on peut ou non adhérer. Forcément, ces idéaux sont forgés par notre rapport à l’autre. Si vous sentez que les choix ou les idées d’autrui constituent un jugement moral sur vous, c’est peut-être vous qui avez un problème. Mais ça, c’est vous qui le savez!