Ta yeule, liberté d’expression
De toutes les notions de droit constitutionnel, celle afférente à la liberté d’expression est probablement la plus ardue à cerner, à mon sens. Non pas que le concept en soi pose, sur le plan théorique, quelconque difficulté. Mais sur le plan de l’application, voilà autre chose. Exemple? Gabriel c. Ward, où ma tête vacille, sans trop forcer, entre l’une et l’autre des pôles.
Exercice délicat, ainsi donc, oscillant entre refus de censure et nécessité de préserver certains socles sociétaux. La France a-t-elle raison d’interdire tout propos remettant en cause l’existence de l’Holocauste? Je le crois, oui. Le Canada use-t-il son bon jugement en faisant de même en bannissant la propagande haineuse? Je le crois aussi. Pas besoin d’avoir inventé l’eau chaude, cela dit, pour en saisir rapidement les limites intrinsèques : quel seuil pour cette même censure? Et qui exerce le rôle du censeur? Voilà qui embête.
Prenez l’exemple récent du néo-délire woke: des œuvres prisées, pratiquement classiques, seront dorénavant mises à l’index de certaines écoles ou commissions scolaires. Parce que leurs auteurs auront commis l’audace de référer au gros mot. Que leur art ait été produit afin justement de dénoncer l’injustice, aucune importance : ce qui compte ne réside plus dans le concept, mais bien dans le terme lui-même. Voyez l’ironie? Afin d’éluder les sensibilités des communautés victimes de racisme ou autres saloperies, on en finira par évacuer du débat public toute contribution visant à enrayer celles-ci. La pognez-vous? Le pire? Qu’il est loisible de croire que la haute majorité des néo-censeurs agissent non pas par conviction, mais bien par crainte de passer, eux aussi, dans le tordeur du terrorisme intellectuel proclamé progrès social. La poisse.
Les propos de Justin Trudeau tenus aux suites de l’attentat de Nice tombent, peut-être sans trop de surprise, dans cette logique aux allures d’absurde : « non à la violence, mais bon, se moquer de Mahomet équivaut à crier au feu dans un cinéma. »
Ah bon? Vivement la métaphore du viol provoqué par la jupe courte, si j’ai bien compris. Tu ne veux pas de trouble avec les terroristes islamistes? Alors laisse le prophète tranquille. Parce que la liberté d’expression, rappelle-le chef du gouvernement canadien, a ses limites, après tout. Kessé ça…???
Rappel historique pour Justin et autres apôtres du lichage de cul institutionnalisé : la liberté d’expression sert JUSTEMENT à protéger le discours qui déplaît, fâche et dérange. Sinon, à quoi bon? Véronique Cloutier s’en tape, de la liberté d’expression, particulièrement du fait de cette raison : consensuelle, tout le monde l’aime, donc nul besoin. Mais Rock et Belles Oreilles, Larry Flint et Jacques Hébert, une autre paire de manches. Vous me suivez?
Cela dit, il importe de distinguer la liberté d’expression de son contenu. Exemple : je ne suis pas Charlie. Phoquall. Parce que je considère leur humour islamophobe, vieux con et dégradant, pour tout dire. Mais même si leur caricature illustrant Aylan – le petit Syrien noyé- comme un agresseur de femme s’il avait survécu me fait vomir, reste que je défends la liberté de Charlie d’être cave et d’assumer les fantasmes vengeurs et méchants de son petit lectorat raciste. Voyez la différence?
Et si on revient au droit (chose que devrait faire Justin s’il s’y connaissait un tant soit peu) la limite première de la liberté protégée réfère à la propagande haineuse. Or, se moquer d’un prophète en est-il la quelconque résultante? Ouin-mais-des-Musulmans-se-sont-sentis-offensés!!! Plate, mais le droit s’en crisse, et c’est tant mieux ainsi. Est-ce que j’encourage la pratique? Évidemment pas. Mais vouloir l’enrayer à coups de pseudo-arguments légaux justifiant, au final, l’assassinat du mécréant? Encore une pire idée. Que disait la biographe de Voltaire, déjà? Ah oui : je ne suis pas d’accord avec vos idées, mais me battrai jusqu’à ma mort pour que vous puissiez les exprimer. Elle ne croyait pas, parions là-dessus, dire aussi juste.