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COVID-19: mieux gérer la frontière pour éviter une quatrième vague

Julianne Piper, Benoît Gomis et Kelley Lee - Université Simon Fraser

À quelques jours du relâchement de certaines mesures de contrôle pour les personnes arrivant de l’étranger, le gouvernement fédéral subit des pressions à la fois pour ouvrir les frontières du Canada aussi rapidement et complètement que possible, et à l’inverse pour encadrer les déplacements qui pourraient mener à une quatrième vague. Des chercheurs de l’Université Simon Fraser se sont penchés sur la gestion de la frontière en temps de pandémie de la COVID-19 pour le média La Conversation.

Les frontières internationales du Canada seront la ligne de front contre l’importation des variants du coronavirus.

En tant que chercheurs en santé mondiale, nous avons comparé l’efficacité des mesures transfrontalières à l’échelle internationale dans le cadre du Projet Pandémies et frontières. À ce stade de la pandémie de COVID-19 nous en avons conclu qu’il est urgent de combler les lacunes de la gestion frontalière afin d’éviter la résurgence du virus à l’automne 2021.

Les études de modélisation montrent que l’immunité collective contre les variants les plus contagieux sera difficile à atteindre. Car malgré les progrès du Canada en la matière, il faudrait avoir vacciné plus de 90% de la population totale, selon les estimations.

Le gouvernement fédéral a annoncé que ses exigences de quarantaine hôtelière prennent fin le 5 juillet pour les citoyens et les résidents immunisés qui rentrent au pays. D’autres phases d’assouplissement suivront.

Si le Canada veut s’engager sur la voie de la reprise plutôt que dans une quatrième vague, il doit soigneusement gérer les risques en trouvant le point d’équilibre entre la course à la vaccination et les demandes pressantes pour rouvrir les frontières.

Des lacunes persistantes dans la gestion frontalière

Les responsables fédéraux ont souvent affirmé que les mesures prises à la frontière étaient parmi les plus strictes au monde. Pourtant, il y a tout lieu de penser le contraire, surtout au terme d’une troisième vague de COVID-19, avec son lot d’hospitalisations et de mesures sanitaires, et dans le contexte des risques croissants associés au variant Delta détecté en Inde.

Contrairement à de nombreux gouvernements – Taïwan, Thaïlande, Vietnam, Corée du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande, entre autres —, le Canada a tardé à introduire le dépistage et la quarantaine obligatoires à l’hiver 2021. À ce moment-là, le Canada avait déjà importé massivement le coronavirus.

La politique canadienne est demeurée incohérente quant aux arrivées par voie aérienne ou terrestre. Selon une note d’information de Santé publique Canada émise le 10 mars 2021, seulement 7% des voyageurs entrant par voie terrestre se voyaient imposer une quarantaine. De larges exemptions touchaient les étudiants étrangers, les techniciens travaillant sur des infrastructures plus ou moins essentielles, les fonctionnaires et d’autres catégories d’arrivants.

Quant aux entrées par voie aérienne, les personnes non exemptées étaient soumises à une quarantaine obligatoire de 14 jours en hôtel, mais celle-ci devenait largement «autosurveillée» après trois jours et appliquée sporadiquement.

Plus inquiétant encore, la collecte et l’analyse des données, incomplètes, ne permettant pas d’évaluer correctement les risques. Les officiels ont souvent prétendu que moins de 2% des infections au coronavirus étaient liées aux déplacements internationaux. Ce chiffre justifiait qu’on ne fasse rien pour améliorer les contrôles frontaliers.

Or, il n’est pas possible d’appuyer une politique sur une donnée aussi peu fiable. Les provinces ont toutes connu des lacunes et des retards dans la recherche et le signalement des contacts, en plus des exemptions et les incohérences dans le dépistage et le suivi des quarantaines.

Et le doute s’amplifie sachant que les données épidémiologiques du gouvernement du Canada montrent que plus de 45% de toutes les expositions ont été de «source inconnue».

Pour évaluer correctement les risques, il faudra aller au-delà des estimations lacunaires. Les modèles devront tenir compte des risques de transmission communautaire — incluant les variants hautement contagieux — émanant de voyageurs infectés non identifiés qui circulent dans la population générale.

Pour une gestion frontalière efficace maintenant

Les Canadiens ont hâte de pouvoir recommencer à voyager librement. Et tout le monde veut savoir comment et quand la frontière canado-américaine sera rouverte aux voyages non essentiels.

Il importe donc d’appuyer la gestion des frontières sur une évaluation sérieuse des risques. En matière d’accès et de distribution des vaccins à l’échelle mondiale, la grande disparité entre pays se traduit par des niveaux élevés d’infection. On verra certainement apparaître des variants très contagieux, voire résistants aux vaccins.

Dans un tel cas, il ne faudrait pas que le Canada puisse les importer dans les semaines suivantes, comme il l’a fait précédemment. En plus de compromettre les progrès réalisés grâce à la vaccination, il en résulterait un nouveau cycle de mesures sanitaires, dont le confinement et les fermetures d’entreprises, de commerces et d’écoles.

Ouvrir aux voyageurs en toute sécurité

En vue de la réouverture, le Canada doit apporter des correctifs afin que son système de gestion des frontières vise à renforcer l’immunité de la population.

Voici quatre recommandations de notre projet Pandémies et frontières:

  1. Une meilleure communication. Fonctionnaires et journalistes ont souvent parlé d’«interdiction de voyager» et de «fermeture des frontières» alors que des centaines de milliers de voyageurs entraient chaque mois. Le Canada doit mieux gérer ses frontières sur la base du risque. Alors que l’on assouplit les mesures, la mission devrait être de déterminer qui peut franchir la frontière et dans quelles conditions sur la base de l’efficacité reconnue des vaccins anti-COVID.
  2. Prévenir la quatrième vague. La politique consistant à réagir après qu’un variant hautement transmissible a déjà franchi nos frontières est inefficace et contreproductive. La prévention exige que l’on ferme d’abord toutes les écoutilles, pour ensuite rouvrir de manière progressive en commençant par les voyageurs entièrement vaccinés.
  3. Prioriser le dépistage efficace et l’autoquarantaine. Certes le dépistage et la quarantaine restreignent la liberté de voyager et peuvent imposer aux voyageurs des charges excessives. Mais il existe des manières assez conviviales de procéder, qui encourageraient par ailleurs la vaccination, et qui préviendraient une quatrième vague. Le Canada n’aurait qu’à s’aligner sur les meilleures pratiques en vigueur dans le monde.
  4. Mieux évaluer le risque. Il faut mieux identifier les faiblesses existantes dans les protocoles de dépistage et de mise en quarantaine des voyageurs. Et il faut que le public ait un meilleur accès à des données correctes, normalisées et détaillées. Nous continuerons de naviguer dans le noir si nous n’améliorons pas la collecte, l’analyse et la communication des données.

Alors que la vaccination de masse se poursuit et que les voyageurs canadiens s’attendent à un assouplissement des restrictions, la stratégie du Canada pour la réouverture des frontières doit s’appuyer sur une évaluation des risques et une gestion améliorées.


Julianne Piper, chargée de recherche en sciences de la santé; Benoît Gomis, chargée de recherche en sciences de la santé; Kelley Lee, professeure en politiques mondiales de la santé et chaire de recherche du Canada sur la gouvernance mondiale en santé; Université Simon Fraser.

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.

La Conversation

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