Le Brexit menacerait le libre-échange
OTTAWA – Maintenant que les Britanniques ont voté pour quitter l’Union européenne (UE), qu’adviendra-t-il de l’accord de libre-échange du Canada avec le groupe de 28 pays?
Il est fort probable qu’il ne soit jamais ratifié, estiment des experts au Canada et aux États-Unis.
La décision des électeurs britanniques de quitter l’UE a immédiatement plombé les marchés, incluant ceux du Canada, fait plonger la livre britannique à son plus faible niveau en plus de 30 ans et fait perdre environ 1 cent US au dollar canadien.
Le Canada et l’UE espéraient ratifier et faire appliquer leur accord sur le libre-échange, dont les négociations avaient débuté en 2009, d’ici les premiers mois de 2017. Une pleine ratification devait survenir après le feu vert du Parlement européen, mais maintenant que l’Europe sera embourbée dans ce qui pourrait bien être une longue période de négociations de divorce, plusieurs observateurs se demandent simplement si l’Accord économique et commercial global (AECG) verra le jour.
Le haut-commissaire du Canada au Royaume-Uni, Gordon Campbell, avait indiqué à La Presse canadienne avant le référendum qu’une victoire du Brexit — le surnom donné à la sortie du Royaume-Uni — pourrait nuire à l’AECG parce que, justement, l’UE serait surchargée avec les négociations entourant le départ du pays.
Même si l’UE était en mesure de poursuivre ses travaux et de finaliser l’accord avec le Canada, le vote sur le Brexit soulève certaines questions sur la pérennité du groupe de pays en tant que tel, et conséquemment sur l’accord commercial, a souligné Fen Hampson, un expert en politique étrangère du Centre for International Governance Innovation de Waterloo, en Ontario.
M. Hampson s’est aussi demandé si la décision des Britanniques alimenterait un mouvement similaire en France — un «Frexit» — où l’opposition à l’UE est encore plus palpable, aux Pays-Bas, ou encore en Grèce, dont les difficultés financières ont déjà permis d’évoquer la question.
«La vraie question est: est-ce que l’AECG a un avenir?» a ajouté M. Hampson. «Je dirais que l’AECG est probablement mort.»
Le vote pour le Brexit pourrait être le début d’une «cascade de mauvaises nouvelles pour le commerce canadien», a pour sa part estimé Christopher Sands, directeur du centre d’études canadiennes de la Johns Hopkins School of Advanced International Studies, dans une analyse publiée vendredi.
«Est-ce que les pays restants de l’Union européenne considèrent que le commerce canadien a suffisamment de valeur pour eux pour aller de l’avant avec cet accord? Combien de temps cela faudrait-il au Canada pour rapiécer une entente bilatérale avec le Royaume-Uni inspirée de l’AECG?»
MM. Sands et Hampson ont noté que le premier ministre britannique David Cameron, qui a annoncé vendredi sa démission, avait été un allié important du Canada lors des négociations pour l’AECG.
Les Britanniques ont aidé à lever les derniers obstacles dans les négociations. Ils ont notamment rassuré l’Allemagne et la France au sujet des mécanismes de règlement de disputes, qui menaçaient de faire sauter l’accord, après la signature de l’entente de principe en 2014, a ajouté M. Hampson.
Selon Richard Haas, président du conseil des relations étrangères des États-Unis, la décision des électeurs britanniques pourrait aussi signer l’arrêt de mort des ambitions américaines au chapitre du libre-échange avec l’UE. Les deux entités venaient à peine d’entamer des négociations pour conclure un accord à ce sujet.
«Il est difficile de voir comment l’environnement politique aux États-Unis pourrait devenir plus propice au commerce, ou à la conclusion d’accords de libre-échange, dans un avenir rapproché», a indiqué M. Haas.
La ministre canadienne du Commerce international, Chrystia Freeland, a pour sa part réaffirmé l’engagement du Canada envers l’accord de libre-échange avec l’UE. Dans un communiqué, elle a indiqué avoir discuté, plus tôt vendredi, avec la commissaire au commerce de l’UE, Cecilia Malstrom, au sujet de l’AECG et du resserrement des liens commerciaux avec le Canada.
L’optimisme était moins palpable du côté de l’UE. L’ambassade de l’Union européenne à Ottawa n’a pas voulu commenter la situation.