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À la recherche des sons perdus

Photo: Bruno Destombes / Collaboration spéciale

Chasser. Récolter. Partager. C’est, selon Alexis Charpentier, le procédé employé par tous ces passionnés qui, comme lui, consacrent leur vie à fouiller les bacs d’albums dans l’espoir de trouver les pépites oubliées de la musique. Tous ces collectionneurs qui écument les sous-sols d’église, les ventes-débarras, à la recherche des sons perdus.

«Les humains n’ont jamais eu accès à autant de musique. Et ils n’ont jamais autant écouté la même chose.»

Tournée en novembre dernier, mais rendue disponible pour visionnement tout récemment, Music Archeology: Reviving the World’s Forgotten Records s’intéresse à l’importance de l’exploration, de la curiosité, de l’ouverture en matière de musique.

Donnée dans le cadre de TEDxMontréal, cette conférence aborde le sujet de ces collectionneurs qui débusquent les pépites disparues, oubliées, jamais réellement déterrées. Pendant un 15 minutes bien serré, bien utilisé, bien rythmé, Alexis Charpentier présente «cette communauté de nerds» qui vivent pour creuser, dans l’espoir de tomber sur la perle rare. Et par «rare», le Montréalais ne veut pas dire «qui vaut cher». Plutôt cher au cœur de l’amateur.

«Peu importe que ce soit un vinyle, une cassette ou un CD, il y a quelque chose de magique à prendre dans ses mains un album qu’on adore, à le toucher, à le contempler, à feuilleter le livret, à regarder la photo de l’artiste. Et ça, on ne peut pas le faire avec un JPEG de 20 pixels par 20 pixels sur son écran» – Alexis Charpentier

Se produisant aux platines sous le nom de Lexis, le DJ a fondé en 2007 Music Is My Sanctuary. Un site qui se consacre à précisément ça : faire entrer le plus grand nombre de passionnés possible dans le sanctuaire de la musique.

Il insiste, n’insistera jamais assez, sur l’importance de la curiosité, du désir de découvrir. Découvrir par soi-même, par ses amis, par des articles de magazines. Découvrir par autre chose que juste l’algorithme. Vous savez, cet outil qui vous recommande en ligne, de façon automatique légèrement simpliste : vous avez aimé cela? Vous aimerez ceci. Clic. «C’est très dangereux de penser qu’il s’agit d’un bon véhicule pour la découverte», estime Alexis.

En guise d’exemple, il mentionne le catalogue du site d’écoute en continu Spotify, qui compte 30 millions de chansons. «On commence par écouter trois, quatre groupes; on nous en recommande trois, quatre qui leur ressemblent. On ne passe pas soudainement du hip-hop aux rythmes brésiliens.»

Il trouve ça triste. Ou du moins, assurément, contraire à ce que l’on avait prévu, soit que tous ces outils allaient «vraiment ouvrir les horizons et donner plus de place aux artistes à l’extérieur du top 40». Car ne serait-il pas logique que l’équation se résume à «plein de choix à faire, plein de choix faits»? Non? Non. Plein de choix à faire et… on fait quoi? «Je pense que les gens sont paralysés, avance Alexis. Ils ne savent pas quoi écouter. Il y a trop de contenu, ils sont surstimulés sur toutes les plateformes.»

Pour illustrer cette tendance, il cite une «statistique vraiment, vraiment incroyable». «Il y a quelques semaines, au Royaume-Uni, dans le top 20 des simples écoutés sur Spotify, les 16 premiers titres, consécutifs, de 1 à 16, étaient occupés par Ed Sheeran.»1- Ed Sheeran, 2- Ed Sheeran, 3- Ed Sheeran, 14- Ed Sheeran, 16- étourdissement.

Sans rien enlever au British rouquin qui chante une ode à la forme de toi, Shape of You, on se dit que compte tenu de l’offre gargantuesque, peut-être qu’on pourrait espérer trouver ne serait-ce qu’un autre nom. En 13?

Bref. C’est une des questions qu’Alexis aborde dans sa conférence qui parle donc de cette communauté de maniaques (gentils). Mais aussi du besoin de préserver la culture.

Ainsi, il revient sur l’aspect historique de cette pratique. Car les vrais collectionneurs ne sont pas des jeunes branchés de Williamsburg, t-shirt ironique sur le dos, latté dans une main, 33 tours dans l’autre. (Même si, aparté, Alexis se dit «bien content que monsieur et madame Tout-le-Monde puissent maintenant acheter des microsillons chez Urban Outfitters».) Il le rappelle : «Dans les années 1930, 1940, 1950, 1960, ces gens ne faisaient pas ça parce que c’était cool de ramasser des vinyles; ils le faisaient par instinct naturel.»

Plus important encore : «S’ils ne l’avaient pas fait, il y aurait de grosses portions de musique de tous les continents qui auraient été perdues à tout jamais.»

Des disques qui représentaient autrefois, comme il dit, des rêves. Des espoirs. Dans lesquels quelqu’un avait cru. Car le succès, c’est certes une question de talent. Mais parfois, tristement, de chance. «De timing, d’image, de marketing.» «Je pense que les gens sont conscients que c’est possible qu’il y ait, par exemple, des Picasso ou des Dalí qui n’ont jamais été vus. Mais ils ne sont pas forcément conscients qu’il y a des disques qui n’ont jamais été trouvés. Ou qui existent, mais en deux exemplaires, en mauvais état.»

À ce sujet, il cite la belle histoire de Henri-Pierre Noël. Un pianiste québécois d’origine haïtienne. Redécouvert il y a quelques années par Kobal, un DJ montréalais. Qui, tombé sous le charme de ses compositions, a contacté l’étiquette britannique Wah Wah 45s. Cette dernière a ressorti le premier album de M. Noël, paru en 1979, Piano, lui donnant ainsi une deuxième vie.

 

Mais la belle histoire ne se termine pas ici. Avec sa conférence, Alexis lui en donne une troisième, de vie. «La semaine passée, le label m’a écrit pour me dire qu’ils vendent soudain plein de ses disques! C’est cool d’avoir eu un impact dans la vie de ce monsieur.»

Et comment. Pour preuve, cet instant si touchant quand il a regardé la vidéo de sa conférence en compagnie de M. Noël lui-même. «Au moment où je parlais de lui à l’écran, j’ai tourné la tête. Et j’ai vu qu’il était en train de pleurer. J’ai réalisé à quel point la musique avait tout été pour lui. Mais à un moment, et ça lui a brisé le cœur, il a fallu qu’il soutienne sa famille, qu’il laisse tomber ce rêve, qu’il passe à autre chose.»

Autre chose ici : même si ce n’était pas forcément son intention, plusieurs ont vu dans sa présentation une ode à tous les types de collectionneurs. «Peu importe que ce soit de timbres ou de bouchons.»

Reste qu’il parle bien de ceux qui ramassent des notes. Une cabale de bizarroïdes, comme il les appelle. D’ailleurs, pour les décrire, pour se décrire, il utilise des touches d’humour. Une photo de lui, petit, avec «un walkman de la taille d’un VCR portatif qui fait la moitié de sa jambe». «C’était important de ne pas se prendre trop au sérieux. Dieu sait qu’il y a tellement de gens intelligents qui ont donné des conférences pour TED! Je ne voulais pas commencer à faire mon docteur en archéologie.»

Sans faire son doc, il lance au passage une petite pique à ces médias qui parlent beaucoup, souvent, de la renaissance du vinyle. Mais qui mentionnent peu, voire jamais, cette communauté de passionnés qui n’ont pas eu besoin que ce soit hip et tendance pour parcourir les pyramides de pochettes. Une chose qui l’irrite? Qui le chagrine?

Oui. «Les médias oublient souvent que même si le vinyle a commencé à “revenir”, pendant 30 ans, il existait toute une sous-culture, très en santé, menée par une bande de mordus, qui l’a gardé en vie. Le truc n’est jamais mort! Des magasins de vinyles entre 1995 et 2000, il y en avait beaucoup plus à Montréal!»

Lui-même a travaillé, entre ses 18 et ses 20 ans, dans un de ces magasins. Le regretté Inbeat, autrefois sis boulevard Saint-Laurent. Et, rêve de tout mélomane, il a parfois «été rémunéré en albums». Juste par curiosité, combien de pièces compte aujourd’hui sa collection? «Trop. Quelque chose comme 10 000 vinyles, 500 cassettes, 3 000 CD, 12 disques durs.»

Mais le nombre n’a pas tant d’importance pour Alexis. Pas plus que la valeur monétaire. Le plaisir réside dans «la découverte, dans le partage». Et dans le fait de trouver des «informations vitales» sur un disque donné. «Comme qui joue de la trompette sur la piste 3?»

Et parlant de jouer, il souligne que les fouilles archéologiques musicales peuvent prendre plein de formes. Qu’elles ne sont pas cantonnées à des règles strictes. Qu’on peut même débusquer des trésors sur YouTube. «Je pense que dans 50 ans, des gens vont trouver des fichiers perdus sur des vieux MySpace. Et il y aura une certaine magie à ça aussi. Heille! J’ai trouvé un MP3 vraiment rare caché sur un forum!»

Infos

Pour voir la conférence

Et pour découvrir le site fondé par Alexis Charpentier

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