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Poésie: la douleur dans toute sa beauté

Maude Jarry Photo: Chantal Lévêsque/Métro
Marie-Lise Rousseau - Métro

«Ça fait du bien à lire parce que ça fait mal», prévient le communiqué accompagnant le premier ouvrage de Maude Jarry. «Ça», c’est son recueil Si j’étais un motel, j’afficherais jamais complet. Ce qui fait mal, c’est ce qu’elle y raconte : la fin tout aussi inévitable que douloureuse d’une relation trop intense qui tourne rapidement au vinaigre et dont les plaies peinent à se cicatriser.

«Quand je vis une émotion, j’ai le goût d’aller vers des arts qui la rejoignent, j’ai vraiment besoin de me connecter, et je ne trouvais rien qui correspondait à fond à ça», décrit Maude Jarry en entrevue.

Pourtant, des œuvres où il est question de rupture amoureuse, il n’en manque pas. «Mais en poésie, il y en a peut-être moins, nuance-t-elle. Il n’y en avait pas assez pour mon besoin.»

On comprend ce qu’elle veut dire par «pas assez» à la lecture de son recueil, l’ouvrage qu’elle aurait voulu lire au moment de sa rupture. Sa poésie se démarque par son écriture crue, brutale et directe.

Quelques exemples : «On s’arrache l’aorte / à tout bout de champ / on en fabrique des colliers / qu’on s’offre sans back-up», «Je l’ai sentie exploser sur le plancher / la vaisselle dépareillée / de notre set de couple / qui allait jamais se marier», ou encore : «On se grattait pas le passé / comme une vulve à vif / qui cherche en braillant / ses antibiotiques.»
Difficile à croire que l’autrice ait craint que son livre soit «quétaine», notamment en raison de la thématique abordée. «Personne ne m’a dit que c’était quétaine encore, donc je crois que c’était une peur non fondée», lance-t-elle en riant.

«Je suis tellement dans le team “on s’en sacre un peu de ce que les auteurs ont à dire de leurs œuvres!” (Rires) Je pense que la perception du lecteur est plus importante. Ce que j’ai écrit ne m’appartient plus.» Maude Jarry, autrice

Sa rédaction a été cathartique en quelque sorte, même si Maude Jarry estime que cette étiquette peut être réductrice­. «Ce qui me fascine, c’est combien l’intime peut être universel. Que ce soit dans l’écriture ou même sur les réseaux sociaux, des fois, je lis des témoignages que je trouve super touchants. Et d’autres fois, c’est juste narcissique et irritant… Mon but était d’être universelle; je ne sais pas si j’ai réussi!»

Oui, elle a bel et bien réussi à dépeindre le sentiment de détresse qui accompagne toute bonne rupture amoureuse. Même si chaque histoire est unique, tout lecteur qui s’est fait larguer à un moment ou à un autre de sa vie (bref, tout le monde ou presque!) saura s’identifier à un passage de son recueil.

En cours d’écriture, l’autrice­ a pris du recul quant à l’aspect personnel de son récit. «Je pense que c’est important de se détacher quand on écrit sur soi, parce que si on est trop collé, on peut perdre le lecteur avec des détails qu’on juge intéressants, mais qui ne le sont pas pour lui.»

Poésie-fleuve

Maude Jarry décrit son style comme de la «poésie-fleuve». Certains poèmes noircissent plusieurs pages dans cet ouvrage qui en totalise près d’une centaine. Dans un style narratif, elle raconte le début, le milieu, mais surtout la fin de cette relation entre sa narratrice et «un gars du BC venu passer un été à Montréal».

Les références au corps y sont nombreuses : «On possède des plaines entières / de chair tendre à faire sanctifier», «Je voulais juste t’avaler / au complet sans mâcher / t’aimer à m’en mordre les viscères / de toute la tendresse la diversité / de ma flore intestinale», «Mes organes reproducteurs secs / un pot-pourri qui parfume mes cavités / m’embaument de l’intérieur». On se dit que cette fascination pour l’anatomie ne doit pas être étrangère à son ex-métier de thanatologue, qu’elle a pratiqué jusqu’à tout récemment. «Le choix du mot “embaumer” est comme un clin d’œil à moi-même», admet-elle en riant.

Mais ce serait plutôt cet intérêt pour le corps qui l’a menée vers ce domaine, indique-t-elle. «C’est drôle, parce que je pensais que mes études allaient beaucoup influencer mon écriture, mais je me rends compte en relisant de vieux poèmes écrits au cégep que j’avais déjà cette espèce de fascination.»

Elle ne regrette rien de ce détour professionnel dans l’industrie mortuaire, qui en plus d’avoir enrichi son vocabulaire – ce qui est toujours utile lorsqu’on écrit –, lui a permis d’apprivoiser la mort.

«On vit vraiment dans une société où c’est tabou, et en même temps il y a une espèce de fantasme autour de la mort. Travailler dans ce milieu, ça brise le fantasme. Tu vois vraiment à quel point il y a des familles que ça déchire. Le côté physique, notamment la restauration, est ce qui m’a le plus fascinée. Je pense à des cas d’accident où il faut refaire des parties du visage, c’est un gros défi et ça a un impact immense – positif ou négatif – sur le processus de deuil des proches.»

À l’inverse d’une thanatologue devant reconstruire un corps ravagé, la protagoniste de Maude Jarry met ses tripes sur la table et dégurgite tout son mal de vivre sans détour : «Je regardais s’effeuiller sur le tard / toute la subtilité de la nuance / entre pas vouloir vivre / et souhaiter être morte.» Elle aborde également le suicide : «Des gyrophares d’ambulance / une trâlée de professionnels / gagnent leur vie à tenter / de torcher mes niaiseries.»

Mais n’allez pas qualifier sa plume de trash pour autant. «Je trouve intéressante la beauté de la laideur. Socialement, on classe trop les choses entre négatif et positif, comme s’il y avait de bonnes et de mauvaises émotions. Je refuse de classer ça en bon ou mauvais, en trash ou pas trash, en sain ou malsain.»


Si j’étais un motel, j’afficherais jamais complet

Aux éditions de Ta MèrePo

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