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Un film sur la saga judiciaire de 'Noir Canada'

MONTRÉAL – Un cinéaste a suivi de près le combat d’un auteur se sentant pris malgré lui dans une longue saga judiciaire à la David contre Goliath.

Julien Fréchette veut rappeler à la récente mémoire le cas du chercheur et auteur Alain Deneault et des éditions Écosociété, et leurs démêlés dans le système de justice après la publication de «Noir Canada».

Dès 2008, le cinéaste Julien Fréchette suit M. Deneault avec sa caméra, pour un projet plus large sur les poursuites jugées abusives. Mais au fil du temps, le documentariste ressentira tout le poids des poursuites sur les épaules de cet homme, et voudra en faire le coeur de son film.

Il réalise ainsi «Le prix des mots», un documentaire de facture intime et dramatique sur M. Deneault et Écosociété, dans l’affaire les opposant à Barrick Gold et à Banro, deux grandes minières canadiennes qui veulent interdire la circulation de l’ouvrage.

Le film coproduit par l’Office national du film du Canada (ONF) — qui sortait en salles vendredi — suit l’auteur et la petite maison d’édition dans un bras de fer long et coûteux de près de quatre ans.

En fait, une cause est toujours pendante en Ontario, alors que celle au Québec a fait l’objet d’une entente hors Cour. Et M. Deneault persiste, lui qui vient de publier en 2012, toujours chez Écosociété, un autre ouvrage sur les minières, évoquant le Canada comme un «refuge» pour ces sociétés qu’il accuse d’être responsables de «pratiques controversées».

«J’ai d’abord filmé un peu sporadiquement. Après environ un an et demi, j’ai assumé ou réorienté le film vers leur histoire. J’ai vu qu’il s’agissait d’un cas un peu atypique dans la disproportion des moyens entre les parties», a expliqué M. Fréchette en entrevue.

Les craintes sur le recours abusif aux tribunaux étaient «dans l’air du temps», mais la poursuite sur «Noir Canada» a été perçue comme une «affaire phare», a noté le cinéaste.

«Quiconque s’est impliqué dans cette affaire en ressort écorché», ajoute-t-il.

Alors que les accusés s’estiment victimes de poursuites abusives, les compagnies affirment que le livre est diffamatoire et que seuls les tribunaux peuvent trancher.

Barrick Gold réclame à la petite maison d’édition 5 millions $ à titre de dommages moraux et compensatoires, de même que 1 million $ à titre de dommages punitifs.

«Je m’étais à la base intéressé au sens plus large de la menace de recourir aux tribunaux, qui peut être perçue comme une arme, soutient M. Fr��chette. Dans cette foulée, j’avais rencontré plusieurs acteurs qui faisaient pression sur le gouvernement du Québec pour qu’il y ait une législation contre ce qu’on appelait à l’époque les poursuites bâillons.»

En 2009, à l’Assemblée nationale, le Québec devient la seule province du pays à modifier sa législation pour «prévenir l’utilisation abusive des tribunaux» avec l’adoption du projet de loi 99.

M. Fréchette parle d’une législation qui «donne davantage d’outils» aux personnes poursuivies et aux juges, mais estime qu’il ne s’agit pas à «strictement parler d’une loi contre les bâillons ou qui vise à protéger la liberté d’expression».

À Ottawa, un an plus tard, un projet de loi est défait par une faible majorité. Il visait cette fois à empêcher l’implication financière du gouvernement canadien dans des projets ne respectant pas les standards internationaux en matière de responsabilité sociale.

«La justice est une arène qui peut être froide, pas particulièrement invitante pour tous. (…) Reste que cette affaire, ce cas-là, aura probablement forcé la main de législateurs», a-t-il argué.

Faisant valoir qu’il n’y avait pas eu de «procès sur le fond de l’affaire», il a déploré qu’il ait été question durant toutes ces années des intentions prêtées aux auteurs plutôt que des agissements des compagnies minières.

Le cinéaste rappelle que l’ouvrage — dont le titre long était «Noir Canada: pillage, corruption et criminalité en Afrique» — abordait les pratiques de «centaines de compagnies minières canadiennes en Afrique», pas seulement Barrick Gold et Banro.

«On peut parler du sujet. Il ne faut pas voir ça comme une censure absolue», fait-il valoir.

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