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Kokoko!: Orchestrer le chaos sonore de Kinshasa

KoKoKo!
Kokoko! (dont fait partie Xavier Thomas, avec la tuque rose) performera demain à 23 h au Piccolo Rialto dans le cadre de Pop Montréal. Photo: Junior Lobota/Collaboration spéciale

Côté innovation, difficile de faire plus original que Kokoko! Le collectif de Kinshasa crée une musique inclassable, chaotique, festive et électrisante grâce à des instruments de fortune, à un chanteur survolté et à des beats endiablés.

Kokoko! – avec un point d’exclamation, à l’image d’un son exaltant – est une entité à trois têtes qui rassemble les univers et les influences de trois créateurs.

Il y a d’abord ceux qu’on nomme «les créateurs d’instruments» du quartier Ngwaka, dans la capitale de la République démocratique du Congo. Fans de musique électro n’ayant pas les moyens de se procurer l’équipement pour en faire, ils recréent les sonorités du genre en fabricant des instruments à partir d’objets trouvés dans les rues.

Machine à écrire, bouteilles, câbles électriques et autres contenants se sont ainsi transformés en guitares et en percussions.

Non loin d’eux, mais sans les connaître à l’époque, le chanteur Makara Bianco est réputé pour les performances musicales quotidiennes de quatre heures qu’il donne dans le quartier de Lingwala, accompagné d’une troupe de danseurs.

Le mot «fatigue» ne fait visiblement pas partie de son vocabulaire.

En 2016, le producteur français Débruit, Xavier Thomas de son vrai nom, a fait la connaissance de tout ce beau monde par l’entremise du projet Africa Express.

Après quelques semaines d’échanges et de création, ils ont fondé ensemble Kokoko!, l’équivalent en français de «Toc! Toc! Toc!», un cri de ralliement typique des rues de la capitale congolaise, d’où le collectif puise son inspiration.

Métro l’a joint à la veille de leur tournée nord-américaine, qui s’arrêtera demain à Montréal.

Diriez-vous que votre rencontre avec ces musiciens a été un coup de cœur?
Oui. Déjà, le son des créateurs d’instruments est vraiment unique. Leur esprit d’expérimentation sonore et de recherche m’a tout de suite parlé. Ça ouvre plein de portes quand les gens travaillent ainsi, ça veut dire que tout est possible. J’ai été fasciné par l’énergie de Makara. Dans ses performances, il chante sur des boucles de musique avec beaucoup de niveaux sonores et de distorsion. Il a vraiment un charisme fort.

Comment votre collaboration a-t-elle évolué pour aboutir à l’album Fongola, paru en juillet dernier?
Au début, on a passé beaucoup de temps à découvrir la vision artistique de chacun. On a joué souvent ensemble, d’abord à Kinshasa, puis en Europe dès juin 2017. Là, on a commencé à jouer devant des publics prêts à faire la fête, à bouger et à se laisser porter. Notre manière de travailler a alors évolué, on est arrivé avec de nouvelles idées. Au début, on faisait vraiment beaucoup de longs jams, on pouvait faire une boucle pendant 20 minutes et on enregistrait ça. Puis, on a réussi à se structurer et à faire passer une énergie nouvelle entre nous.

Kokoko! est un collectif basé sur la notion d’échange. Qu’est-ce que Kokoko! vous a apporté et qu’avez-vous apporté à Kokoko?
Les créateurs d’instruments m’ont apporté beaucoup de motivation par leur message qui dit en somme: «On ne va pas attendre d’avoir les guitares que tout le monde veut, on a envie de faire de la musique maintenant, donc on y va: on fait tout nous-mêmes sans attendre.» Et puis, l’énergie sans calcul de Makara – qui ne regarde pas à la dépense! – m’a beaucoup inspiré. Pour lui, un concert d’une heure, c’est du repos comparé à ce qu’il faisait! (Rires) Après, moi, ce que j’ai pu apporter… Je ne sais pas… J’ai apporté des machines qu’eux n’avaient pas; ça les a motivés quand on a commencé à brancher les boîtes à rythmes et les synthés.

Comment votre inventivité se transpose-t-elle sur scène?
Comme le dit souvent Makara, personne n’est condamné à rester à un endroit et à jouer d’une seule chose. Ça tourne vraiment, ce qui surprend le public. Tout d’un coup, le batteur devient le chanteur principal, ensuite le guitariste qui ne chantait pas finit par le faire quand son morceau arrive… Ça bouge beaucoup et il y a une énergie assez forte.On a l’habitude sur les scènes européennes ou américaines de voir des projets très calibrés, très calculés, alors que nous, quand on monte sur scène, pas mal de choses imprévues peuvent se passer. Et puis, les gens sont souvent curieux des sonorités étant donné qu’ils ne reconnaissent pas les instruments.

«À partir de mon univers et de celui d’autres artistes, on arrive à créer une sorte de troisième univers, quelque chose qu’on n’aurait pas pu imaginer faire.» –Xavier Thomas, un des trois piliers de Kokoko!

Votre son est vraiment très singulier et original. Comment le décririez-vous?
Ce n’est pas facile en très peu de mots… C’est un son qui a un souci d’expérimentation, qui peut être dansant – parce qu’on peut expérimenter tout en étant pop et dansant. Il y a une part d’électronique, des rythmiques inspirées du Congo, et c’est en même temps très électrique, à l’image de la ville. Le son à Kinshasa est tout le temps poussé à l’extrême, ce qui fait que le public des scènes alternatives et punk se retrouve dans notre énergie. La puissance de Makara se rapproche aussi de ces musiques. C’est un mélange un peu atypique et qui prend bien, en général.

Le son de Kokoko! est indissociable de celui de Kinshasa. Comment l’ambiance de cette ville vous influence-t-elle?
C’est une ville très, très sonore. Boms Bomolo, qui fait partie des créateurs d’instruments, dit que même les yeux fermés, on peut deviner ce qui se trouve autour de nous et à quelle distance. Par exemple, les vendeurs de vernis à ongles frappent leurs bouteilles de verre les unes contre les autres, les cireurs de chaussures ont leur bois qui fait un autre rythme, les vendeurs d’unités téléphoniques ont un mégaphone dans lequel ils enregistrent des boucles, les églises évangéliques ont leur système de son qui est poussé à fond… Ça ne s’arrête jamais! Boms dit que tous ces sons l’inspirent. Il essaie d’organiser de manière musicale le chaos sonore de Kinshasa.

Comment décririez-vous la scène musicale de Kinshasa?
Je dirais que ce qu’on a commencé à faire inspire d’autres groupes qui commencent à faire de très bonnes choses. Il y a aussi une scène artistique qui mêle performeurs, art contemporain, danse, cinéma… Il y a une véritable effervescence. La jeunesse a envie de quelque chose de différent de ce que leurs parents ou leurs grands-parents ont fait avec la rumba congolaise, elle a envie de développer sa propre voix et son propre son. On constate d’ailleurs que la scène alternative africaine, peu importe le pays, est vraiment en train d’émerger en rupture avec les sons plus traditionnels. Les jeunes ont envie d’exprimer des choses un peu plus extrêmes.

Parlant de choses à exprimer, les textes de Kokoko! sont principalement en langues lingala, swahili et kicongo. Qu’abordent-ils?
Contrairement à la rumba congolaise, ça ne parle pas beaucoup d’amour! C’est justement pour bien tourner la page! (Rires) Makara me dit souvent qu’il parle de ce qu’il voit dans la rue et dans les quartiers. Bien sûr, il y a aussi l’expression d’une certaine frustration par rapport à ce qui se passe dans le pays et dans la ville, qui peut être dite parfois de manière un peu déguisée, parce que c’est dangereux de s’attaquer à certaines personnes. Par exemple, sur Tokoliana, on transpose une réalité de Kinshasa dans la forêt, mais bon, tout le monde comprend de quoi il s’agit. On utilise aussi parfois des mots très proches de ceux qu’on ne veut pas dire. Les paroles peuvent paraître complètement étranges, voire naïves, mais le public de Kinshasa comprend.

Après la tournée, qu’est-ce que l’avenir vous réserve?
Présentement, on a beaucoup de demandes et on continue à créer beaucoup de musique. Ce qui est bien avec la fabrication d’instruments, c’est qu’il y a toujours de nouvelles idées! Ces instruments apportent de nouveaux sons qui, eux, apportent de nouveaux morceaux. Donc, on n’est pas à court d’inspiration et le plaisir est encore plus fort qu’au départ.

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