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«Douleur sentimentale puante»: maudite jalousie

Jalousie
L'autrice Sara Hébert fait paraître le recueil «Douleur sentimentale puante». Photo: Josie Desmarais/Métro

«C’en est rendu une maladie», comme le chante Kevin Parent. La jalousie, l’autrice et collagiste Sara Hébert connaît trop bien. C’est pourquoi elle a convié huit collaborateurs à explorer avec elle ce sentiment irrationnel et douloureux. Leurs récits sont rassemblés dans le recueil Douleur sentimentale puante. 

D’emblée, la coéditrice des recueils Caresses magiques et du magazine Filles missiles reconnaît que, si elle a consacré un ouvrage à la jalousie dans les relations amoureuses, c’est d’abord parce qu’elle en souffre elle-même.

«Quand j’ai vécu mes premières crises de jalousie, j’avais l’impression d’être seule. C’est très honteux d’admettre qu’on est jaloux. Ça m’a amenée à vivre de la détresse. J’ai alors cherché des livres sur le sujet, mais je n’en ai pas trouvé. Peut-être que mes aptitudes de recherchiste n’étaient pas assez développées», lance-t-elle en riant.

Cette honte qu’elle a ressentie, ses collègues littéraires qui signent une nouvelle dans son recueil l’ont partagée à un moment ou à un autre. Comme Jimmy Beaulieu, qui écrit que la jalousie fait prononcer «des horreurs», ou encore Géraldine, qui répète cette phrase qui dit tout: «Je me sens comme un tas de marde, je dois être une crisse de folle.»

À l’instar de Kevin Parent, Sara Hébert considère-t-elle la jalousie comme une maladie? Après tout, certains narrateurs des récits rassemblés dans son recueil vont jusqu’à vomir de jalousie. «Plein de monde a probablement vomi de jalousie!» répond-elle, amusée.

Plus sérieusement, l’anxiété est la véritable maladie qui se cache derrière la jalousie, selon l’autrice. «Alexandre Fontaine Rousseau le dit dans son texte: la jalousie est une bête qui sommeille en toi, qui peut être réveillée pour une petite connerie. C’est comme un système d’alarme qui ne fonctionne plus et qui n’est pas arrêtable.»

Souvent irrationnel, ce sentiment s’avère parfois justifié, précise-t-elle. «Il faut faire la distinction entre la jalousie qui fait angoisser, stresser et percevoir des signes là où il n’y en a pas, bref qui rend paranoïaque, et le sentiment temporaire circonstanciel qui est issu d’un manque de confiance envers quelqu’un. La ligne est très mince, des fois!»

Personnels et universels

Si les récits de ce «pot-pourri sur la jalousie» sont très personnels, ils prennent une dimension universelle en étant rassemblés dans cet ouvrage à la facture visuelle forte et évocatrice (voir encadré). «Oui, ce sont des textes personnels, mais ils sont mis ensemble dans un objet qui veut qu’on réfléchisse au sentiment de jalousie, à ses sources, à ce qui nourrit ça dans la société et dans les médias», souligne Sara Hébert.

Autre constat intéressant de l’autrice: il y a beaucoup de fiction dans la jalousie, puisqu’on se fait bien souvent des idées en la ressentant. «Quand je commence à être jalouse de quelqu’un, je m’invente plein de raisons pour faire de cette personne un danger. Il y a beaucoup de fiction là-dedans. Je ne suis pas moi-même quand je suis jalouse, j’entre dans un personnage. Quand je retrouve mes esprits, eh que je me juge et que je ne comprends pas comment j’ai fait pour aller si loin dans ma tête!»

Reste que les auteurs rassemblés dans son livre font preuve d’une grande vulnérabilité en se commettant entièrement, écrivant au «je» et parlant en leur propre nom. «J’ai arraché des textes très intimes à des gens, ce qui n’était pas facile», concède Sara Hébert. 

Elle-même a trouvé douloureux le processus de replonger dans ces sentiments sombres et désagréables pour rédiger sa nouvelle, intitulée Le plus long rebound. «C’était plus facile pour moi de relire et de réviser les textes de mes collègues que de finir le mien.»

Seule exception à l’ensemble, le «mixtape d’AFR» (pour Alexandre Fontaine Rousseau), qui analyse avec beaucoup d’esprit et d’humour quelques chansons traitant de la jalousie (Maudite jalousie de Kevin Parent n’en fait pas partie!).

«Alexandre va dire à qui veut bien l’entendre que je l’ai forcé, blague Sara Hébert. J’adore sa plume et son esprit, et je voulais absolument qu’il contribue au livre. Je lui ai donc proposé d’en parler à sa façon, en passant par la musique.» Sa contribution rappelle son délirant bouquin Musique du diable et autres bruits bénéfiques (Ta Mère, 2017).

«Ce livre peut être un prétexte pour discuter d’un sentiment pas facile à aborder, parce qu’il nous fait sentir vulnérables et honteux.» Sara Hébert, autrice et collagiste

Jalousie contemporaine

Au fil des pages de Douleur sentimentale puante, des questions se posent sur les notions de l’amour et du couple comme on les conçoit. Les relations polyamoureuses sont d’ailleurs abordées dans quelques nouvelles. «Les relations amoureuses telles qu’elles sont en ce moment sont à revoir et à redéfinir. Le modèle crée des attentes souvent irréalistes», estime l’autrice à ce sujet. 

D’autres, comme Sandrine Galand et Chloé Savoie-Bernard, abordent la jalousie à l’ère des réseaux sociaux. Un phénomène auquel on peut tous, ou presque, s’identifier. Qui n’a jamais espionné son ex sur Facebook ou tiré des conclusions un peu trop hâtives en interprétant le détail d’une photo? 

«Ça peut nourrir le monstre! commente Sara Hébert en riant. Se retenir d’espionner une personne sur les réseaux sociaux est aussi difficile que de se retenir d’ouvrir un sac de chips

La question est inévitable: travailler à ce recueil sur la jalousie a-t-il guéri un tant soit peu l’autrice de cette maladie d’amour? «Je pense que non. Par contre, beaucoup de gens me parlent du livre et se confient sur leur propre sentiment. Ça aide d’en discuter. Ça enlève du poids à ce que je vis et ça permet de voir les patterns qui reviennent.»

Cela dit, Douleur sentimentale puante n’a pas la prétention d’offrir une solution à la jalousie. «On fait des constats, mais on ne dit pas comment gérer ce sentiment. Ça pourrait être intéressant de faire un deuxième livre, une sorte de guide de survie pour les jaloux!» 

Comme un «zine»

Sara Hébert conçoit des fanzines depuis près de 10 ans. Dans ses feuillets artistiques autoédités, elle s’exprime sur divers enjeux, notamment le féminisme, à coups de collages très subversifs. 

La facture visuelle de Douleur sentimentale puante reproduit cette esthétique d’esprit DIY (Do It Yourself). En parodiant le contenu des magazines féminins, l’autrice et collagiste émet une critique éditoriale grinçante.

«Ces magazines mettent sur les femmes une pression qui les encourage à se comparer et à devenir jalouses les unes des autres, dit-elle. Je voulais subvertir ce message, qui peut être violent.»

Par ailleurs, ses collages de fausses publicités vintage ou encore son horoscope rigolo sur la jalousie permettent de dédramatiser le tout. «Quand je me sens mal, l’humour arrive à me ramener à la surface et à ne pas prendre ça trop au sérieux», observe-t-elle.


Douleur sentimentale puante

Aux éditions Somme toute 

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