Websérie: l’effet «Dominos»
En seulement six courts épisodes, la deuxième saison de la websérie Dominos réussit à nous attendrir mais, surtout, à nous faire oublier notre quotidien si étrange par les temps qui courent, en nous transportant dans celui de ses personnages, si différents les uns des autres, et qui tentent de s’en sortir chacun à leur façon.
En cette période de pandémie mondiale où isolement et angoisse vont de pair, la fiction est plus que jamais une bouée de sauvetage pour déjouer l’ennui. En ce sens, la sortie de la deuxième saison de Dominos tombe à point, malgré le malaise que cela suscite chez sa jeune créatrice.
«Comment on la sort pour que ce soit respectueux des circonstances? se demande-t-elle en entrevue (téléphonique, bien sûr). En même temps, personnellement, je suis vraiment contente que C’est comme ça que je t’aime et Fourchette soient sorties récemment. Ça fait du bien de regarder de la fiction. En fait, ça sert à ça, la fiction. Comme on ne peut plus aller au théâtre ou au cinéma, tout ce qu’il nous reste est ce qu’on peut regarder à la maison. Ça prend une tout autre importance.»
Après avoir présenté une brochette de jeunes adultes d’un quartier défavorisé de Montréal dans la première saison, la websérie propose de découvrir leur évolution, six mois plus tard, dans les nouveaux chapitres.
Comme dans la première saison, chaque épisode adopte le point de vue d’un personnage. On trouve ainsi Toto (Grégory Beaudin des Dead Obies et du trio Brown Family, qui crève l’écran) et son jeune frère Adib (Benjamin Roy), qui tentent de se reprendre en main après le choc causé par le suicide de leur mère.
J’aime beaucoup les films choraux comme Magnolia ou ceux de Robert Altman. Je voulais vraiment créer une mosaïque de personnages qui s’applique au web. –Zoé Pelchat
Personnage central du récit, leur insouciant ami Fred (Émile Schneider) rentre quant à lui d’un long séjour à Miami, où il a fait la fête. Son retour ébranlera son ex, Marie (Sandrine Poirier-Allard), qui élève seule leur enfant.
Pour sa part, Nanou (Mounia Zahzam) se fait évincer de son logement, tandis que Claudia (Pascale Drevillon, une nouvelle venue cette saison) se retrouve liée par hasard à ce groupe en cherchant l’amour.
En traversant ces épreuves éprouvantes, ces protagonistes cherchent tous à améliorer leur sort. «J’aime quand il y a du gros drama. Pas dans ma vie, mais dans la fiction», lance la réalisatrice en échappant un rire.
On voit encore rarement la réalité des plus démunis à l’écran, bien que la populaire série M’entends-tu ait changé un peu la donne. Dans Dominos, l’immigration, la diversité, la drogue, la prostitution et la pauvreté sont quelques-uns des enjeux abordés.
«J’ai voulu donner la parole à des gens qui n’ont pas souvent l’occasion de l’avoir, explique Zoé Pelchat. Je ne viens pas de ce milieu, mais j’ai un désir de raconter des histoires différentes et de sortir de ma zone de confort.»
Sa mosaïque de personnages brosse ainsi le portrait d’une jeunesse montréalaise bigarrée et diversifiée.
Malgré les comportements parfois irréfléchis de certains de ses personnages, on sent que la réalisatrice ne pose jamais de jugement sur eux. «C’est tout le temps mon objectif. Les séries et les films que j’aime font ça», commente-t-elle.
En très peu de temps, elle réussit à dépeindre leur évolution, ce qui explique notamment pourquoi le spectateur s’attache rapidement à eux. «La première fois que tu vois un personnage, tu penses le connaître, mais quand tu le revois, tu découvres une autre facette de sa personnalité», note-t-elle.
Si la magie opère, c’est entre autres grâce au jeu hyper crédible des comédiens, qui évitent les pièges et les clichés liés à la misère. Ce sont d’ailleurs eux qui ont cru dès le départ en son projet.
«Mes proches n’y croyaient pas tant que ça, car je n’avais pas beaucoup d’expérience, mais les acteurs y ont vraiment cru d’une façon qui me dépasse!»
Il ont eu raison. La première saison de Dominos a remporté divers prix à l’étranger, dont celui de la Meilleure série digitale au festival Canneseries en 2018.
«C’était magique, magique, magique!» s’enthousiasme Zoé Pelchat en y repensant.
Souci du détail
Si on accroche autant à la websérie, malgré sa courte durée, c’est parce que Zoé Pelchat a porté une grande attention aux détails, tant scénaristiques qu’esthétiques. Selon elle, «l’émotion passe beaucoup par l’imperfection».
Par exemple, elle a insisté pour que les acteurs soient le plus possible naturels au cours du tournage. «Les maquilleuses, pauvres elles, elles doivent m’haïr!» lance-t-elle en riant.
Pourquoi donc? Car la réalisatrice a souvent dû leur demander d’en faire moins. «J’aime voir les pores sur la peau des personnages, que leurs cheveux ne soient pas trop bien placés, qu’ils aient des couettes croches, énumère-t-elle. Ce sont de petits détails qui font que j’y crois.»
Tout cela par souci de réalisme, même si elle reconnaît que la direction photo de Dominos ne l’est pas toujours, réaliste, Zoé Pelchat ayant accordé beaucoup de soin aux éclairages pour créer des ambiances. «Sur le plan formel, je voulais faire une websérie qui ait une signature visuelle», dit-elle.
L’émotion passe aussi beaucoup par la trame sonore, tout particulièrement dans cette saison. Au programme: beaucoup de musique douce, notamment celle de Chilly Gonzales, d’Alexandra Stréliski, des Louanges, de Philémon Cimon et de Jean Leloup. Comme un baume sur les bouleversements que vivent les protagonistes.
«Par rapport à la saison 1, les tounes sont plus douces en général, explique la réalisatrice. Je ne sais pas pourquoi.»
Les personnages ont dicté les choix musicaux, poursuit-elle. «Comme Marie qui, malgré sa nouvelle relation, attend le retour de Fred, car elle l’aime encore… Pour ce cas, La chandelle, de Philémon Cimon, marchait.»
Idem pour Petit papillon, de Jean Leloup, qui habite l’épisode consacré à Claudia.
«Elle était dans le scénario de l’épisode depuis le début, commente Zoé Pelchat. C’était symbolique, parce que ce personnage est trans.»
Autre exemple du souci du détail de la réalisatrice: une police de caractère distincte est attribuée à chacun des rôles dans le générique de la série.
«Notre designer graphique, Ariane Leblanc, a proposé ça. On a vraiment adoré, parce que ça symbolise le fait que chaque personnage a ses couleurs et son univers.»
La websérie, au même titre que le court métrage, est un format dans lequel les jeunes cinéastes font souvent leurs premières armes. Était-ce frustrant d’être limitée à de si courts épisodes pour raconter la réalité complexe de ses protagonistes?
«Pour moi, le format n’est pas un enjeu, répond Zoé Pelchat. D’ailleurs, mes productrices veulent vraiment qu’on fasse un long métrage avec Dominos. Les acteurs aussi me le demandent. Mais, moi, je dis: “Non, jamais.” Ce n’est pas un long métrage. Ça marche parce que c’est un format court.»
C’est d’ailleurs ce qu’a souligné le jury de Canneseries.
«On a gagné parce qu’on a vraiment fait une websérie. Ça ne pouvait pas être autre chose.»
À défaut de voir le projet se transformer en long métrage, devrait-on s’attendre à une troisième saison de Dominos?
«On est en train d’y penser», avance la réalisatrice, dont l’avenir professionnel, comme celui de la plupart des artistes, est incertain actuellement.